Vous pensez que l’essence est chère ? Repensez-y. Le prix du pétrole payé à la station-service est ridiculement bas à tous points de vue. Et c’est une catastrophe à tous les égards.
Pour les indigènes du lac Maracaibo, le plus grand champ pétrolier au Vénézuela, « el petróleo, es la sangre del diablo » (le pétrole, c’est le sang du diable). Rien n’est plus vrai pour eux et pour beaucoup d’autres qui subissent les ravages d’une extraction pétrolière débridée sans en toucher les dividendes. Mais ce qui est vrai aussi, c’est que le pétrole est le sang de toute l’économie mondiale.
Le pétrole, c’est la source d’énergie dans laquelle l’Homme a puisé le pouvoir de dominer la planète. Mais la dépendance à l’or noir est l’une des principales menaces pour notre survie.
Le pétrole, c’est un facteur de richesse et de confort comme l’humanité n’en avait jamais connu, mais sa consommation induit les principales dégradations de notre qualité de vie.
Le pétrole est devenu un paradoxe, et le pire est à venir. Alors que la consommation d’hydrocarbures n’a jamais été aussi forte et continue d’augmenter, nous venons d’atteindre – ou sommes sur le point d’atteindre, ce point fait encore débat – le pic pétrolier mondial, le stade à partir duquel la production de pétrole commence à décliner inexorablement du fait de l’épuisement des ressources exploitables.
Et nous n’avons pas de plan B. Les énergies renouvelables restent une goutte d’eau dans la marée noire. Notre dépendance au pétrole est quasi totale, et ce, dans tous les domaines : 98 % des transports carburent au pétrole, il faut dix calories issues d’énergie fossile pour produire une seule calorie alimentaire. Le plastique, les fertilisants ou la plupart des médicaments en sont issus. Sans le pétrole, nous n’aurions jamais pu être sept milliards, et ne pourrons pas le rester. Certains experts comparent les conséquences de son épuisement prochain à celles d’une guerre atomique.
Pas cher… en apparence
Eu égard à cette importance stratégique, mais aussi au service rendu, le pétrole est offert à la pompe à un prix incroyablement bas. C’est bien sûr dur à croire quand il augmente de 30 % en un an comme à présent. Pourtant, avec un litre d’essence payé environ 1,30 $, on peut transporter en voiture jusqu’à cinq personnes avec une centaine de kilos de bagages sur une quinzaine de kilomètres. Imaginons de faire la même chose à l’aide d’énergie humaine ou animale : quel conducteur de carriole à cheval ou pousseur de charrette à bras accepteraient de rendre le même service pour une somme aussi ridicule ? Autre exemple : on a calculé qu’un baril de pétrole raffiné (soit environ 160 litres) utilisé dans des machines produisait autant de travail qu’un homme en… 24000 heures. Pour 200 $ environ, on peut s’offrir l’équivalent d’une équipe de 12 personnes à temps plein qui trimerait pendant un an pour moins d’un cent de l’heure.
Autre exemple encore : il faut débourser plus de 1700 $ à Halifax ou Toronto, 2400 $ à Paris et plus de 3000 $ à New York pour acheter sous forme d’électricité l’énergie d’une tonne d’essence à environ 1500 $. Entend-on pourtant les gens se plaindre du prix du kilowattheure comme de celui du litre d’ordinaire ? Connaissez-vous d’autres produits qui sont à la fois indispensables, en voie d’épuisement et aussi bon marché ? Cette situation totalement artificielle n’est possible que parce que le prix de l’essence payé à la pompe n’est qu’une fraction de l’ensemble des coûts liés à l’approvisionnement et à la consommation du pétrole.
Et comme ces coûts cachés sont supportés par l’ensemble de la communauté, le pétrole coûte presque autant au cycliste qu’au propriétaire de Hummer.
Par exemple, selon l’Institute for the Analysis of Global Security (IAGS), les actions militaires nécessaires à la «sécurisation» des champs pétroliers coûtent 100 milliards de dollars par an aux pays occidentaux. Or, le budget des armées est payé par les impôts de tous les contribuables, quelle que soit la taille de leur voiture.
Autre exemple : la Commission européenne estime que le coût de la lutte contre les gaz à effet de serre sera de 80 milliards d’euros par an (environ 110 milliards de dollars) dans les pays de l’Union, et d’une vingtaine de milliards au Canada. L’industrie pétrolière est aussi très lourdement subventionnée: en 2010 elle a reçu pas moins de 500milliards de dollars de fonds publics de par le monde.
À ces dépenses s’ajoutent celles liées aux impacts de la pollution pétrolière sur la santé des populations et des écosystèmes, la réhabilitation des sites d’exploitation… Autant de frais plus ou indirectement endossés par tous. Mis bout à bout, ces coûts doubleraient au moins le prix de l’essence à la pompe s’ils étaient reportés sur les consommateurs finaux, estime l’IAGS.
Cercle très vicieux
Le pétrole est devenu une ressource inestimable. Mais parce qu’il est si accessible, nous le brûlons dans nos tondeuses à gazon. Son prix modique est une incitation à en consommer toujours plus, et un frein au développement d’autres énergies et de matières premières. En Europe occidentale, où le tarif de l’essence est moins déconnecté de la réalité – un litre y coûte environ un dollar de plus qu’ici – la consommation du parc automobile, 7 litres aux 100 km, est environ deux fois plus faible qu’en Amérique du Nord. Le transport en commun, notamment électrique, y est beaucoup plus développé.
Brader cette ressource hâte donc l’avènement d’une pénurie énergétique aux conséquences catastrophiques. Dans l’intervalle, l’augmentation de la consommation d’énergie fossile induite par le pétrole pas cher intensifie encore les tensions géopolitiques entre pays producteurs et importateurs, les impacts sur des populations et des milieux naturels déjà largement mis à mal, augmente la pollution, l’emprise des routes ou encore les embouteillages… la liste est sans fin.
Pourquoi alors ne pas augmenter les prix de l’essence ? Parce que les gouvernements sont en quelque sorte pris au piège. La dépendance aux produits pétroliers est si forte que toute variation brutale de son prix a des répercussions profondes sur la croissance économique. Et jusqu’à présent, aucun parti au pouvoir n’est prêt à prendre le risque politique de remettre en question l’abondance et le gaspillage de ressources sur lesquelles repose le modèle occidental.
« Le mode de vie américain n’est pas négociable » a déclaré en 1992 George Bush père à l’ouverture des travaux de la Conférence de Rio sur le développement durable. Le problème, c’est que la nature ne négocie pas non plus.
Un beau désastre
Jusqu’au 8 janvier 2012, le Musée Mccord accueille à Montréal Oil, une exposition des clichés du photographe torontois edward Burtynsky, qui illustrent le gigantisme et l’omniprésence du pétrole dans nos vies.
L’oeuvre d’edward Burtynsky, qui montre essentiellement les changements induits par les activités humaines, a été le sujet d’un documentaire canadien très remarqué en 2006, Manufatured Landscapes.
musee-mccord.qc.ca 690, rue Sherbrooke ouest, 514-398-7100