Culture

Amrita Hepi

Se rafraîchir grâce à la danse et aux mots

Rinse (rincer) est l’action de nettoyer délicatement. C’est également le titre du spectacle solo de l’artiste multidisciplinaire Amrita Hepi, présenté au Festival TransAmériques (FTA) cette année. Même si ce mot n’est jamais prononcé au cours de la représentation, il impose sa présence sur le plan des sens. À mi-chemin entre la danse et le théâtre, Rinse emprunte les codes de la performance et de la danse conceptuelle.

La scène est minimaliste : un simple plancher et un mur de blanc. La scénographie, sobre et agréable sur le plan esthétique, est constituée de trois blocs géométriques massifs céruléens : un cube, trois prismes rectangulaires et un bloc triangulaire. Les éclairages aux néons et aux lampes de Matt Adey colorent symboliquement les différents espaces-temps du spectacle, parmi lesquels l’aube, la veille de l’orage, le présent, la fin du monde et la formation de l’univers. Telle une personne qui parle avec ses mains, Mme Hepi, vêtue de blanc et de bleu, parle avec son corps et bouge avec sa voix. Le tout est présenté avec finesse et précision.

Des mots

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La chorégraphe et interprète Amrita Hepi (Crédit photo : Zan Wimberley)

Ce sont les mots et les idées qui guident le périple de l’auditoire. Ce monologue, coécrit par Mme Herpi et Mish Grigor, regorge de thématiques qui se rejoignent sans cesse comme des spirales de connaissances : le colonialisme, le féminisme, l’amour, les désirs, les sacrifices au nom de l’art ou encore la culture populaire. Tout doit être nommé, mais rien n’est assez précieux pour s’y attarder trop longtemps.

Cultivant le mystère, l’artiste multidisciplinaire établit un jeu de séduction efficace avec le public, grâce à la retenue présente autant dans la mise en scène de M. Grigor que dans le texte. Ce jeu laisse la foule user de son intelligence et de sa capacité à créer ses propres schémas de pensées. Difficile de ne pas penser au référendum australien d’octobre 2023 et à un pays qui a refusé d’intégrer la voix des Premiers Peuples dans sa constitution, même si ces sujets ne sont jamais nommés explicitement.

À travers ce flot de pensées, la répétition de phrases clés, notamment « In the beginning » (au commencement) servent d’ancrage pour l’auditoire. Cette répétition, comme le mouvement cyclique des vagues, fait aussi référence au recommencement perpétuel, le non-apprentissage des erreurs des humains, la nature humaine à son meilleur.

La danse méta

Ces spirales d’idées font alterner ingénieusement l’universel et le spécifique. Par l’entremise des mythes fondateurs et des histoires de cataclysmes, la formation en danse de Mme Hepi ainsi que son parcours corporel reviennent souvent. Elle évoque la liste des maîtres-danseur·euse·s qui l’ont formée, tant du côté des compagnies occidentales que du côté des Premières Nations.  

La chorégraphe donne aussi un cours abrégé d’histoire et de géopolitique de la danse, en partageant des bribes de son autobiographie. Elle reconnaît avoir le bras de Beyoncé, les pas d’Anne Teresa De Keersmaeker, les « non » d’Yvonne Rainer, et montre comment la mémoire de ces corps continue de l’influencer, de la coloniser et de la nourrir.

De la fluidité

Mme Hepi traverse ainsi les 50 minutes de Rinse comme un voilier qui paraît voguer lentement au loin, mais qui, en réalité, avance rapidement. Cette référence indirecte à l’eau est présente dans la mise en scène de M. Grigor, mais aussi dans l’univers esthétique de la pièce. Elle se perçoit également dans les éclairages bleus récurrents, dans certaines ambiances sonores de Daniel Jenatsch, dans la scénographie glaciale cocréée par M. Adey, dans le costume de la chorégraphe, ainsi que dans quelques phrases que prononce Mme Hepi, notamment dans la mention du désir d’avoir une piscine sur scène, invitante.

Voir une artiste bouger et parler sur scène avec autant d’aisance est captivant. La parole étant un langage plus répandu dans la société que le mouvement, cet alliage entre gestes et mots rend la proposition plus accessible pour un public moins familier à la danse.

Le rythme modéré du monologue permet également d’apprécier les détails des actions de la danseuse et laisse le temps de comprendre les liens qu’elle tisse entre les mots et les gestes. Elle chatouille la nuque avec ses images fortes, fait rire avec ses vérités mordantes – dont deux pointes lancées à l’Australian Ballet.

Le ton de Rinse fait d’ailleurs penser à l’œuvre vidéo Plastisapiens des réalisatrices Miri Chekhanovic et Edith Jorisch. La narration de cette œuvre futuriste rappelle la voix de Mme Hepi : calme, réaliste, espiègle, sage.

La foule sort rafraîchie de corps et d’esprit à la fin du spectacle.

Rinse

Prochaines représentations les 29 mai et 30 mai à 19 h au Théâtre Rouge du Conservatoire

Tarif : de 28 $ à 47 $ selon la catégorie.

Réservation : billetterie du Festival TransAmériques

Activité spéciale le 30 mai : Échauffement du public avec l’artiste.

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