Culture

Se perdre en forêt avec Ingrid Syage Tremblay

Jusqu’au 26 octobre prochain, la Galerie B-312, située dans l’édifice du Belgo, dans le centre-ville de Montréal, présente l’exposition Perdue en forêt, composée d’œuvres de la sculptrice québéco-syrienne Ingrid Syage Tremblay. Quartier Libre l’a visitée en présence de l’artiste.

« J’aime que chaque œuvre contienne son histoire et une certaine délicatesse », confie Mme Syage Tremblay.

L’artiste réalise ses sculptures grâce à la technique de la taille directe dans le bois, c’est-à-dire qu’elle découpe les motifs dans une planche pour en faire émerger une forme.

Elle révèle puiser son inspiration entre autres dans les arts textiles. « Je vois le bois comme une sorte de fibre, précise-t-elle. Il est composé de lignine et de cellulose. On retrouve ce dernier produit dans le papier et dans certains tissus organiques. » Avant de représenter un filet de pêcheur, l’œuvre intitulée Le filet échoué était une simple planche de bois. « On n’imagine pas que le bois puisse devenir quelque chose qui est aussi fluide, poursuit-elle. Avec la taille directe, on enlève la matière pour dessiner la forme alors que les arts textiles, ce sont des fils qui s’entrecroisent, qui vont créer une forme solide. »

Un filet échoué d’Ingrid Dyage Tremblay © Alexis Bernard

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme

Mme Syage Trambley réalise ses œuvres à partir de bois d’élagage récupéré dans la région de Montréal. « Comme je travaille à la main, c’est rare que j’aille dans une essence plus dure que du cerisier », avoue-t-elle.

Plus récemment, l’artiste, qui cherche toujours à aller plus loin dans sa démarche de circularité, a eu l’idée d’utiliser tous les « déchets » générés par la taille du bois. « J’ai eu l’instinct de conserver la poussière et les copeaux », souligne-t-elle. De cette idée est né le tableau Quatre montagnes et leurs reflets qui représente des motifs de tissages beige, blanc et noir réalisés grâce à la poussière et aux cendres de bois, au fusain, aux pigments et à la pâte à papier.

Des inspirations variées

Pour créer Chemin tressé, Mme Syage Tremblay s’est inspirée du travail de l’artiste britannique Barbara Hepworth. « Elle disait que dès qu’on met une sculpture en paire, ça crée une relation différente », se remémore-t-elle. Cette œuvre se compose d’ailleurs de deux pièces de tailles différentes en forme d’équerre.

Un motif de tressage est taillé sur leur surface. La face extérieure a été laissée dans la couleur naturelle du bois tandis que la face intérieure est noire, en raison du bois qu’elle a fait brûler. « Je voulais créer quelque chose d’inattendu dans la partie arrière », affirme l’artiste. Pour créer cette œuvre, Mme Syage Tremblay s’est notamment inspirée de l’ouvrage d’Ursula K. Le Guin La théorie de la fiction-panier, qui narre l’histoire de l’origine humaine à travers la cueillette plutôt que la chasse. « Je voulais ramener cet aspect de cueillette en créant un motif de vannerie », poursuit-elle.

De la sculpture… et de la poésie

En plus d’être sculptrice, Mme Syage Tremblay est aussi poétesse. Son œuvre Le paysage à mes pieds, créée pour une exposition sur le thème du deuil, représente à cet égard des feuilles d’arbres tombées au sol. L’idée lui est venue alors qu’elle rendait visite à l’un de ses proches en soins palliatifs. Elle allait en effet de temps en temps se promener dans un parc tout proche de l’hôpital, surplombé de grands marronniers. « En les regardant, j’ai pensé que ces arbres avaient dû voir beaucoup de personnes en deuil », explique-t-elle. L’automne suivant, au moment où la personne à qui elle rendait visite était en fin de vie, les marronniers ont commencé à perdre leurs feuilles. « Ça m’a fait penser à cette idée des cycles de la nature », précise-t-elle.

Le paysage à mes pieds d’Ingrid Dyage Tremblay © Alexis Bernard

La timidité des cimes est le nom donné au phénomène par lequel les feuilles d’arbres qui se côtoient sans jamais se toucher laissent ainsi passer la lumière à travers leur canopée, notamment pour permettre la photosynthèse. C’est aussi le nom qu’a choisi Mme Syage Tremblay pour l’une de ses œuvres. Dans une planche de peuplier, l’artiste a taillé des motifs de feuillage formant une dentelle à travers de laquelle filtre la lumière quand elle est placée face à une fenêtre. « Il y a aussi la référence aux moucharabiehs dans l’architecture ottomane, qui laisse passer la lumière, souligne-t-elle. Je voulais que l’œuvre interagisse avec le lieu. »

De manière générale, les œuvres de Mme Syage Tremblay suscitent la curiosité. En les observant, le public s’interroge sur leur fabrication : « Il arrive que des gens me demandent comment [le filet échoué] a été fait, mais je n’ai plus envie de le dire dans le détail, car [ne pas comprendre comment est fait un objet], c’est une émotion qu’on ne ressent plus si souvent », affirme l’artiste.

L’exposition se tient à la Galerie B-312 du mardi au samedi de 12 h à 17 h jusqu’au 26 octobre. L’accès est gratuit.

Photographie : Ingrid Syage Tremblay devant son oeuvre, La timidité des cimes © Alexis Bernard

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