Volume 27

Se droguer pour réussir

«Pendant une semaine de révision au quatrième étage de la Bibliothèque des lettres et sciences humaines, durant la nuit, tu peux entendre des gens sniffer dans les toilettes des hommes », affirme l’ancien étudiant au baccalauréat de l’UdeM, Paul*. Dans son entourage, certains de ses amis prenaient également du « speed » à la bibliothèque pour ne pas s’endormir.

Le 27 novembre dernier, Le Pigeon Dissident a dévoilé une enquête1 sur la consommation de drogues de performance au sein de la Faculté de droit de l’UdeM. « Le niveau d’anxiété généralisé et la crainte de moins bien performer sont une réalité bien ancrée et il est plus qu’évident que cela impacte les habitudes de consommation des étudiants », peut-on lire. Cette étude témoigne de l’inquiétude des étudiants quant à leur réussite universitaire et de leur tendance à se tourner vers les différentes drogues pour être performants.

La performance à tout prix

L’appellation « drogues de performance » fait référence à plusieurs substances. « Il s’agit d’un large éventail de substances, dont les effets sont prétendus ou avérés, explique le professeur agrégé à l’École de psychoéducation de l’UdeM, Jean-Sébastien Fallu. Cela peut inclure les amphétamines ou encore les nootropes2, qui pourraient amplifier les capacités cognitives. La caféine et la cocaïne, qui permettent de rester éveillé plus longtemps, en font également partie. »

L’ancienne étudiante française en échange à l’UdeM Sophie* a essayé à deux reprises la cocaïne pour réviser juste avant un examen, mais elle en garde un très mauvais souvenir. « J’ai été très efficace dans mes révisions, mais le lendemain, je ne me souvenais de rien, témoigne l’étudiante. C’était le black-out. Les examens étaient finalement deux fois plus angoissants. »

Sophie fume aussi du cannabis pour éviter de se poser trop de questions et pour pouvoir se concentrer sur une seule chose à la fois. D’après M. Fallu, le cannabis ne fait pas partie des drogues de performance. Pourtant, Sophie l’utilise comme tel. Au départ, il s’agissait d’une consommation récréative, mais avec l’anxiété des études, l’étudiante s’est mise à fumer pendant ses révisions et avant ses examens.

Sophie a conscience des problèmes soulevés par sa dépendance. « Avec le temps, le cannabis est devenu un placebo pour beaucoup de choses, notamment face au stress que procurent les examens, avoue-t-elle. Je me dis qu’à un moment il va y avoir un problème, ne serait-ce qu’au niveau de ma mémoire. Des fois, j’ai remarqué que ça ne m’avait pas forcément aidé. » Aujourd’hui, elle se considère bel et bien comme dépendante du cannabis.

Les problèmes d’accoutumance

Selon les recherches3 de la professeure à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) Marie-Christine Brault la consommation de psychotropes est trois fois plus importante au Québec qu’ailleurs au Canada. Ces types de médicaments, comme le Ritalin® ou la Vyvanse®, permettent notamment de soulager les troubles de l’attention. Toutefois, le nombre de consommateurs semble plus important que le nombre de personnes qui ont reçu un réel diagnostique de TDAH (trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité).

« Depuis ma première année, je vois des étudiants qui en achètent à des dealers ou des personnes qui étaient TDAH, mais avant je n’ai jamais voulu en prendre, à cause de mon problème de cœur », souligne Paul. Son ex-compagne a été diagnostiquée, puis a souhaité réduire sa consommation de médicaments en raison d’une dépendance qui s’installait. « Un jour, j’ai pris une de ses pilules parce que j’avais trop d’échéances au même moment, et ça a vraiment très bien marché, donc j’en ai repris », déclare-t-il.

Les risques pour la santé, que ce soit chez des personnes diagnostiquées ou non, sont identiques. Selon M. Fallu, le principal problème est de développer une accoutumance et de ne plus savoir travailler sans ces médicaments. Il existe des effets secondaires, comme Sophie en a fait l’expérience. « Le Ritalin® m’a fait les effets d’une drogue, mon cœur s’est mis à battre très fort, détaille-t-elle. Sur le moment, j’ai eu la sensation que mes performances étaient augmentées, parce qu’il était impossible pour moi d’arrêter tellement mon corps et mon cerveau étaient pris là-dedans. Par contre, une fois que les effets du médicament ont pris fin, j’avais la sensation d’être épuisée tant physiquement que psychiquement. »

Une société « addictogène »

« Des données scientifiques montrent qu’il y a actuellement dans la société une augmentation de la charge de travail pour quasiment tous les individus, affirme M. Fallu. Il y a donc clairement une société de plus en plus productiviste. » D’après lui, la solution est de remettre en question cette société de performance, de valeurs d’excellence et de dépassement de soi, sans contrebalancer avec des valeurs d’équilibre de vie, de bien-être et de respect de ses limites. « C’est clair que tant qu’on est dans une société comme celle-là, la consommation de drogues, que ce soit pour dormir, pour travailler ou pour faire la fête, va continuer, constate-t-il. Nous sommes dans une société addictogène. »

Triche ou pas triche ?

Prendre des drogues de performance serait, selon certains, une forme de tricherie. Sophie et Paul n’ont pas le même avis sur la question. L’étudiante ne considère pas le cannabis comme un moyen de tricher. En revanche, lorsqu’elle a consommé du Ritalin®, la sensation était différente. « Au fond de moi, lorsque j’avais un regain d’énergie pendant les révisions, je me disais bien que les personnes qui ne prenaient rien n’étaient certainement pas capables d’en faire autant en si peu de temps », admet-elle.

Pour Paul, ces médicaments aident à se concentrer, mais ne rendent pas plus intelligent. « Pour certains, un café fonctionne tandis que pour d’autres, non, explique l’étudiant. Dans ce cas-là, il faudrait partir du postulat qu’on n’a pas tous les mêmes chances et que ces médicaments permettent un rééquilibre. »

D’après la porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara, le secrétariat général n’a jamais eu à évaluer ce cas de figure. « Il ne faudrait pas que des étudiants qui prennent des psychostimulants pour des raisons médicales soient stigmatisés, montrés du doigt et accusés de tricherie, souligne-t-elle. Par rapport à la prise de médicaments non prescrits, l’Université préconise la sensibilisation et la consommation responsable. » La porte-parole estime que la consommation de psychostimulants est difficile à prouver et à vérifier.

*Les noms sont fictifs pour préserver l’anonymat des étudiants.

1. Le Pigeon Dissident (2019) : « Les résultats du sondage sur la consommation de drogues de performance : Après la prescription acquisitive, la prescription addictive ? »

2. Substances diverses impliquant une augmentation cognitive comme la caféine.

3. Résultats préliminaires d’une étude comparative entre le Québec et la Flandre concernant la consommation de psychostimulants pour le TDAH présentés devant l’Assemblée nationale le 6 novembre 2019. < http://bit.ly/2Pq5GE1 > (consulté le 10 février 2020).

4

Partager cet article