Scruter le vote des jeunes

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Par Frédérik-Xavier Duhamel
lundi 19 novembre 2018
Scruter le vote des jeunes
Entre 1985 et 2014, les électeurs de 18 à 34 ans ont été systématiquement moins nombreux, toutes proportions gardées, à se présenter aux urnes que leurs aînés au Québec, selon l’Institut de la statistique du Québec. Crédit photo : Benjamin Parinaud.
Entre 1985 et 2014, les électeurs de 18 à 34 ans ont été systématiquement moins nombreux, toutes proportions gardées, à se présenter aux urnes que leurs aînés au Québec, selon l’Institut de la statistique du Québec. Crédit photo : Benjamin Parinaud.
Plusieurs acteurs politiques voient la réforme du mode de scrutin comme un remède au cynisme des étudiants envers les élections. La corrélation entre scrutin proportionnel mixte et participation des jeunes aux élections n’est cependant pas évidente, selon le professeur en science politique André Blais.

En mai dernier, trois des quatre principaux partis* ont appuyé l’idée d’une réforme du mode de scrutin [voir encadré] avant l’élection de 2022. La CAQ, maintenant au pouvoir, s’est engagée à déposer un projet de loi en ce sens au cours de la première année de son mandat.

Nouveau mode de scrutin, nouveaux votes ?

Une telle réforme ne serait pas un remède au faible pourcentage de participation, selon le professeur en sciences politiques à l’UdeM André Blais. « Il n’y a pas de corrélation claire à faire entre le mode de scrutin et le taux de participation », avance-t-il. Ce dernier fait d’abord référence au Portugal. « Ils ont un scrutin proportionnel et le taux de participation est plus faible qu’ici », expose le professeur. Il cite aussi le cas de la Nouvelle-Zélande, où une réforme vers un mode de scrutin proportionnel a été adopté en 1996. « Le taux de participation à la première élection [suivant la réforme] a légèrement augmenté, puis est redescendu depuis », nuance-t-il.

Cynisme : des avis partagés

L’organisme étudiant Solution étudiante nationale pour un scrutin équitable (SENSÉ), qui a vu le jour à l’Université Laval, milite pour une réforme du mode de scrutin. Selon le membre de l’exécutif Gabriel Laurence-Brook, les étudiants doivent se rendre compte qu’il est dans leur intérêt de revoir la façon dont fonctionne le système électoral.

« En tant que groupe minoritaire dans la société, leur voix compte moins, parce qu’il y a un gros bonus de représentation qui est donné à tout ce qui est majoritaire dans le système actuel, argumente-t-il. Ça alimente le cynisme que les gens ont par rapport à la politique et qui touche en particulier les jeunes de 18 à 35 ans, dont font partie les étudiants. »

M. Blais n’est pas du même avis. « En fait, les jeunes sont un peu moins cyniques que les vieux, estime-t-il. Et vous savez, le cynisme, on le retrouve dans tous les pays du monde. » Une étude réalisée en 2012 par l’Institut du Nouveau Monde (INM) visant à comprendre la diminution de la participation électorale des jeunes semble lui donner raison**.

La recherche, commandée par le Directeur général des élections du Québec (DGEQ), révèle que « le cynisme comme motif d’abstention gagne en importance avec l’âge » et qu’il serait l’un des facteurs déterminants pour les électeurs de 25 ans et plus. Mais l’INM souligne également le désintérêt des jeunes pour la politique. Certains verraient leur vote comme inutile dans un scrutin uninominal majoritaire où des circonscriptions sont gagnées d’avance, comme c’est le cas actuellement.

Changer le mode de scrutin pourrait néanmoins faire œuvre pédagogique, estime la nouvelle députée de Mercier pour QS, Ruba Ghazal. « Ça va intéresser plus de gens qui vont se poser plus de questions, notamment les jeunes », explique-t-elle. Mme Ghazal ajoute qu’une telle réforme encouragerait les électeurs à voter pour le parti qui répond le plus à leurs aspirations et à leurs valeurs, plutôt qu’à exprimer un vote stratégique. Une telle réforme avantagerait son parti, selon elle.

D’autres facteurs en cause

Pour M. Blais, d’autres éléments, liés par exemple au cycle de vie, expliquent la raison pour laquelle les jeunes seraient peu nombreux à se rendre aux urnes. « Le taux de participation augmente tranquillement à mesure qu’on a un mode de vie plus stable, qu’on demeure au même endroit », note-t-il.

À cela s’ajoute le fait que les jeunes d’aujourd’hui votent moins que les jeunes des générations précédentes, dit le professeur. « Là-dessus, on n’a pas énormément d’informations, détaille-t-il. Mais une des hypothèses est que le vote est moins perçu comme un devoir moral qu’avant. » Selon le politologue, il y a aujourd’hui un attachement beaucoup moins fort aux partis politiques qu’autrefois, et ce, principalement chez les jeunes.

* Québec Solidaire (QS), le Parti Québécois (PQ), et la Coalition avenir Québec (CAQ). Le Parti Vert (PV) a pris le même engagement. ** « La diminution de la participation électorale des jeunes Québécois : une recherche exploratoire de l’Institut du Nouveau Monde », Directeur général des élections du Québec, 2012.

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