C’est Héloise qui écrit à Abélard. Pénélope qui attend le retour d’Ulysse. Dans Promets-moi que tu reviendras vivant, Danielle Laurin dresse le portrait d’une femme inquiète : l’épouse d’un reporter de guerre à une époque où les journalistes sont fréquemment pris pour cibles. Cette épouse, c’est elle. Danielle Laurin est journaliste, auteure et critique littéraire pour Le Devoir et Elle Québec. Son mari, qui demeure anonyme tout au long du récit, est journaliste pour la radio de Radio-Canada. En octobre 2001, il est envoyé en Afghanistan, sa première affectation en zone de guerre. « Je te voyais mort en rêves toutes les nuits », confiera l’auteure dans ce récit écrit à la première personne.
Plutôt que de perdre la tête en attendant son retour, elle part enquêter auprès des grands reporters de guerre. Elle veut savoir ce que vit son époux, qui lui ment au téléphone pour ne pas l’inquiéter. Florence Aubenas, Roger Auque, Céline Galipeau, Michèle Ouimet, Raymond St- Pierre, et bien d’autres, lui confieront tour à tour leurs souvenirs de guerre. À chacun, elle posera sa grande question, qui revient tout au long du récit comme un mantra: Le meilleur reportage vautil la mort d’un journaliste?
Ces rencontres, souvent trop courtes, nous montrent l’humanité derrière les reporters de guerre. Certains sont des machos à la limite du playboy, comme Roger Auque qui raconte qu’il habitait à l’hôtel et faisait son footing le long du fleuve à Bagdad après l’invasion américaine, peinard. Il faut dire qu’il connaît les dangers du métier, il a été fait otage pendant près de 11 mois au Liban, en 1987. D’autres, comme Anne Nivat, s’immiscent longuement dans la vie des locaux afin de décrire la guerre au quotidien ; le travail du marchand, qui ouvre son échoppe malgré les bombes et les attentats.
Le coût de l’info
La rencontre la plus surprenante sera celle faite avec Céline Galipeau, aujourd’hui chef d’antenne à Radio-Canada. Cette femme d’apparence délicate a été pendant 14 ans correspondante à l’étranger. Elle était en Tchétchénie, au Kosovo et en Irak pendant les conflits armés. Toutes les scènes d’horreurs dont elle a été témoin, tous ces moments où elle a cru mourir sous les bombes qui sifflaient tout près, elle les a refoulés à l’intérieur, raconte-t-elle. Puis un jour, elle a craqué. « Philippe [son fils] était encore petit, il n’avait pas dix ans. Nous étions dans la salle de bain. Je ne me rappelle plus ce qu’il a dit, mais la situation a dégénéré. Je me suis mise à le frapper… Je suis allée me faire soigner, ensuite », dit-elle candidement.
Michèle Ouimet, reporter pour La Presse souvent envoyée en Afghanistan, a elle aussi subi les contrecoups du métier. Elle était au Rwanda lors du génocide en 1994. Devant une scène de massacre, elle prend d’abord des notes, calmement. Mais sur le chemin du retour, elle se met à trembler : choc post-traumatique. Elle prendra des médicaments pendant un an.
À travers ces histoires, Danielle Laurin soulève plusieurs questions importantes. Doit-on risquer sa vie pour informer ? Un journaliste doit-il intervenir pour aider une personne en détresse ? Certains l’ont fait, comme François Bugingo, qui a adopté une petite fille abandonnée au Rwanda. Mais on ne peut pas adopter toute l’Afrique. D’où le sentiment de culpabilité de bien des reporters.
À certains moments, le mécanisme de l’écriture devient lourd. On souhaiterait que l’auteure n’interrompe pas les récits des grands reporters avec ses réflexions personnelles. Mais ces détours deviennent finalement le socle de son enquête. Puis, Danielle Laurin maîtrise l’art d’une écriture télégraphique où chaque mot compte. Elle réussit, en 190 pages, à nous faire découvrir l’envers du décor ; celui où oeuvrent ceux et celles qui nous informent, parfois au péril de leur vie. Le livre a le défaut de ses qualités, on aurait bien pris cent pages de plus.
Danielle Laurin, Promets-moi que tu reviendras vivant. Ces reporters qui vont à la guerre, Libre expression.