L’initiative Jack.org souhaite venir en aide aux jeunes ayant des problèmes de santé mentale en privilégiant l’échange de pair à pair et surtout, l’apprentissage de l’écoute active. Mais depuis quand doit-on apprendre à écouter de manière bienveillante ? À quel moment est-ce devenu un effort de faire preuve d’intérêt, de respect et d’acceptation face à l’autre ?
Cette idée d’écoute active, conceptualisée par le psychologue américain Carl Rogers, repose sur la compréhension des ressentis d’autrui, soit l’expression de l’empathie en thérapie comme au quotidien. Nos facultés empathiques, qui ne datent pas de la dernière pluie, sont considérées par David Hume et Adam Smith comme « un moyen naturel de communication nous permettant de partager les sentiments des autres ». En somme, s’il est vrai que certains sont atteints de troubles les rendant incapables d’empathie, la plupart des homo sapiens que nous sommes dispose de cette aptitude. L’écoute active consiste alors démontrer l’empathie que nous possédons déjà.
Oh je vous vois venir, là-bas, avec l’argument de l’avènement technologique qui asservit l’empathie humaine ! J’en conviens, notre société semble, de prime abord, victime d’une nouvelle adoration du soi par le déploiement du contact virtuel entre les Hommes. Le constat est aisé : les gens se regardent moins les uns-les autres et se replient sur leur propre image, idolâtrant le dieu Selfie, sacralisant la rencontre Tinder avant même que mots ne s’échangent. On réagit avec des gifs, émoticônes et autres stickers de chat obèse sur un vélo. On se montre plus, on s’écoute moins.
Pourtant, on me dit dans l’oreillette que ce ne serait pas entièrement vrai. En 2014, la chercheuse et professeure de psychologie à l’Université de Floride du Nord Tracy Alloway a publié les résultats d’une étude* faisant le parallèle entre l’utilisation de Facebook, le narcissisme et l’empathie. Ses conclusions sont telles que la plupart des utilisateurs ont bel et bien tendance à faire preuve de narcissisme. Rien de bien nouveau là dedans, j’y arrive.
Le plus intéressant, dans cette étude, est que « certaines activités de Facebook, telles que le clavardage, seraient liées à des aspects de préoccupation empathique » et à « une meilleure capacité à se transposer dans des situations vécues par l’autre ». Les femmes développeraient davantage d’empathie face à la détresse d’autrui lorsqu’elles regardent des vidéos. Donc, si la tendance à se regarder le nombril est claire, les réseaux sociaux ne semblent pas pour autant nous transformer en êtres dénués d’empathie, bien au contraire.
Alléluia, me direz-vous, notre génération n’est pas perdue dans les geôles fascistes de l’individualisme ! Ce qui est dangereux est plutôt la propension à nous détourner volontairement de cette capacité, en réaction à la pression sociétale moderne. Le stress universitaire puis la concurrence de l’emploi, la situation économique peu glorieuse de nos États et la peur nourrie par certains leaders qui manipulent justement notre empathie, nous amènent à oublier de l’exprimer. De même, sur les réseaux sociaux, il demeure facile de glisser dans une bienveillance virtuelle, lointaine, sans qu’interaction et démonstration d’empathie n’ait lieu.
La bonne nouvelle, c’est que nous ne devons pas apprendre l’écoute active, nous devons simplement être attentifs à ce qui est déjà en nous. Car au-delà des bénéfices pour la santé mentale, il en va de la santé démocratique. L’essayiste américain Jeremy Rifkin évoque l’aptitude à nous reconnaître en l’autre et à reconnaître l’autre en nous comme une expérience très démocratisante. Pour cet homme clairvoyant, l’évolution de l’empathie et celle de la démocratie ont ainsi été liées tout au long de l’histoire car plus la culture est empathique, plus ses valeurs et ses institutions gouvernementales sont démocratiques.
Alors, pour adoucir la dépression dans nos esprits d’Hommes modernes, écoutons. Pour désherber l’individualisme qui a pris racine dans nos dynamiques économiques, sociales et politiques, concentrons-nous juste deux minutes sur ce qui est déjà là. Bousculons les Trump et Le Pen de ce monde à coups d’empathie, car comme Rifkin l’énonce si allègrement, elle « est l’âme de la démocratie. »
* Alloway, T., Runac, R., Qureshi, M. and Kemp, G. (2014) Is Facebook Linked to Selfishness ? Investigating the Relationships among Social Media Use, Empathy, and Narcissism. Social Networking