Réseaux sociaux : Les nouvelles arènes de la vulgarisation scientifique

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Par Paul Fontaine
vendredi 12 novembre 2021
Réseaux sociaux : Les nouvelles arènes de la vulgarisation scientifique
La pomme du savoir, Mathieu Bories, 2017. Oeuvre située au Marché Jean-Talon. Photo : Paul Fontaine.
La pomme du savoir, Mathieu Bories, 2017. Oeuvre située au Marché Jean-Talon. Photo : Paul Fontaine.
La désinformation pullule sur les réseaux sociaux et ne laisse pas indemnes les « plateformes de jeunes » comme TikTok, Twitch et Instagram*. Des étudiantes et étudiants de l’UdeM sont notamment présents sur ces médias pour donner l’heure juste et vulgariser la science.

Un appel en direct depuis sa voiture. Il est un peu essoufflé, sa respiration précipitée. Le temps lui manque. Il offre gracieusement quinze minutes pour un entretien éclair et doit déjà raccrocher. Il sait qu’il ne lui en reste que cinq avant de rencontrer le mythique chef d’antenne à TVA Pierre Bruneau : il a rendez-vous avec lui au skatepark pour une seconde entrevue d’affilée.

Depuis qu’il publie ses vidéos sur TikTok, et surtout depuis son passage à l’émission d’ICI Radio-Canada Tout le monde en parle le 10 octobre dernier, le résident en médecine de l’Université de Montréal et docteur en pharmacologie Mathieu Nadeau-Vallée est au coeur d’un cyclone médiatique. Ses capsules éducatives à propos des vaccins et de la pandémie de COVID-19, vues des dizaines de milliers de fois, lui confèrent une certaine célébrité, mais il assure ne pas rechercher l’attention à tout prix. « Je veux seulement que les gens puissent prendre une décision éclairée », insiste humblement celui qui s’est fait connaître sous le pseudonyme de Walmart_Justin_Trudeau.

Combattre la désinformation sur TikTok

Mathieu Nadeau-Vallée, résident en médecine et vulgarisateur scientifique sur le compte TikTok wal_trudeau. Capture d’écran tirée d’une vidéo TikTok.

De la musique, des chorégraphies, des mèmes… et potentiellement de la désinformation : voilà ce que les utilisateurs et utilisatrices de TikTok peuvent retrouver sur la plateforme. C’est en tout cas ce qu’ont constaté les journalistes de l’émission d’ICI Radio-Canada Les Décrypteurs, qui ont d’ailleurs testé, dans leur édition du 2 octobre dernier, l’efficacité de l’algorithme de recommandation du réseau social à proposer des vidéos antivaccins. « En partant d’un compte vierge [NDLR :Un nouveau compte], ça ne prend
que quelques minutes pour se ramasser dans une bulle complètement hermétique [de désinformation] », résume le journaliste Jeff Yates.

Cette raison est l’une de celles qui ont poussé M. Nadeau-Vallée, le « Doc » de TikTok, à lutter contre la désinformation, selon ses propres mots. « Au début de la pandémie, les gens avaient besoin de rire, souligne-t-il. Donc, je me suis mis à faire des vidéos drôles. J’ai ensuite réalisé que plusieurs vidéos de désinformation apparaissaient dans mon fil d’actualité sans qu’il n’y ait personne pour défendre la science. Je me suis alors dit que, puisque j’ai une formation universitaire en santé, j’avais une responsabilité de donner la bonne information. »

Considérant avoir atteint son objectif d’aider les utilisateurs et utilisatrices de TikTok à prendre une décision éclairée, M. Nadeau-Vallée a pris sa retraite du réseau social le 14 octobre, ce qu’il avait notamment annoncé lors de son passage à Tout le monde en parle. Ses vidéos lui ont d’ailleurs valu, comme il l’a mentionné, des milliers de commentaires d’encouragement.

S’il est devenu une icône de la vulgarisation scientifique, M. Nadeau-Vallée n’est pas le seul membre de la communauté scientifique à vouloir remettre les pendules à l’heure sur les réseaux sociaux. Plusieurs doctorants et doctorantes en sciences biomédicales de l’UdeM se taillent une place sur les « plateformes de jeunes », comme Twitch et Instagram, pour partager leurs connaissances et leur passion pour la science.

Vulgariser la science sur Twitch

Thomas Milan, doctorant en biologie moléculaire et vulgarisateur scientifique sur la chaîne Twitch Sciences à la carte. Photo : Gregory Émery.

Reconnue pour être peuplée de gameurs et de streameurs, Twitch est loin d’être la plateforme la plus susceptible d’accueillir un vulgarisateur scientifique. Pourtant, le doctorant en biologie moléculaire de l’UdeM Thomas Milan a rapidement été charmé par le potentiel de ce site Internet de vidéos en direct. « C’est 100 % du live et j’aime ce côté très spontané », explique-t-il.

Sur sa chaîne Sciences à la carte, M. Milan invite des chercheurs et chercheuses de tous horizons à discuter de leurs projets de recherche. Ils sont confortablement attablés, bière de microbrasserie à la main, ce qui donne une ambiance qui n’a, selon lui, rien à voir avec les austères colloques universitaires. « On prend le micro, on jase et on essaye d’apprendre des choses ensemble, illustre-t-il. Ça, c’est vraiment le côté cool de Twitch. »

Cette attitude décontractée est essentielle aux yeux du vulgarisateur, car d’après lui, la science doit être communiquée d’une manière digeste pour tout le monde. « Je déteste l’aspect élitiste qu’on peut avoir chez les scientifiques, révèle-t-il. L’idée que la connaissance appartient à une élite, c’est une dimension qui me gêne un peu. Je pense qu’il faut la rendre la plus accessible possible. Quand on met des mots simples sur des concepts compliqués, on peut expliquer tout vraiment facilement. »

À ses yeux, Twitch est une excellente plateforme pour la vulgarisation scientifique. « C’est beaucoup dans l’interactivité avec le public, dans l’improvisation, poursuit M. Milan. Il n’y a pas de hiérarchie entre mon auditoire et moi. » Cette absence de hiérarchie lui permet, selon lui, de démocratiser la science en la rendant plus attractive et ludique. « Je veux expliquer aux jeunes que la science, c’est fun », résume le streameur. Absent de la plateforme depuis cet été pour achever sa thèse, le vulgarisateur compte bien reprendre le micro d’ici les prochains mois pour retrouver son public et renouer avec sa passion.

Sensibiliser sur Instagram

Myriam Beaudry, doctorante en nutrition et vulgarisatrice scientifique sur le compte Instagram Majeurs et vaccinés. Photo : Les Deux Myriam Photographie.

À l’aube de la pandémie, la doctorante en nutrition à l’UdeM Myriam Beaudry a rapidement constaté l’ampleur de la désinformation en ligne. Épaulée par son amie Marie-Ève Caron, étudiante à la maîtrise en sciences infirmières à l’Université du Québec à Rimouski, elle a mis sur pied le blogue Majeurs et vaccinés. Ce projet, qui visait initialement à éclaircir le processus de développement des vaccins, a migré sur Instagram afin d’offrir une tribune aux travailleurs et travailleuses de la santé.

« D’un côté, nous avons un blogue sur lequel nous publions des billets de vulgarisation, et de l’autre, une page Instagram où nous partageons des témoignages de professionnels de la santé qui expliquent pourquoi il est important de se faire vacciner », précise la doctorante. Pour partager ces témoignages, Mme Beaudry n’a pas choisi Instagram par hasard. Elle tenait avant tout à attirer les jeunes âgés de 18 à 35 ans, qui représentent près de 70 % des utilisateurs en 2021, selon le portail de statistiques Statista.

« Tu swipes [NDLR : Faire défiler des publications sur Instagram] et en deux coups de pouce, tu vas lire une citation d’une nutritionniste qui s’est impliquée dans la campagne de vaccination en tant qu’injectrice, explique l’étudiante. J’ai voulu amplifier la voix des spécialistes, susciter un sentiment d’empathie et de solidarité à leur égard. »

Le blogue Majeurs et vaccinés s’est d’ailleurs distingué au concours « Exprimez votre créativité et engagez-vous dans la lutte contre la COVID-19 » en janvier 2021. Les deux étudiantes à l’origine du projet ont obtenu une bourse décernée par le scientifique en chef du gouvernement du Québec, Rémi Quirion, et par
les Fonds de recherche du Québec.

Aujourd’hui, Mme Beaudry poursuit ses efforts en animant le balado Tête-à-tête avec la science, diffusé sur Spotify. Elle y reçoit plusieurs scientifiques pour « briser les tours d’ivoire » au sommet desquelles cette communauté peut s’isoler. « Ce que j’aime du balado, c’est qu’on peut avoir des échanges nuancés entre deux humains qui discutent ensemble, détaille-t-elle. Le balado permet aussi d’humaniser les scientifiques. On comprend qu’ils font un travail dirigé par leur passion. »

La modération a bien meilleur goût

Le professeur adjoint au Département de communication de l’UdeM Stéphane Couture constate que toutes ces plateformes, TikTok, Twitch et Instagram, ainsi que les plus connues comme Facebook, Twitter et YouTube, abritent des groupuscules complotistes ou des communautés militantes antivaccins, qui n’hésitent pas à harceler ou à museler les personnes qui luttent contre la désinformation.

Celui-ci parle sans détour « d’attaques et de perturbations articulées » et estime que les personnes militantes antivaccins se démarquent par leur organisation et non pas par leur nombre. « Ils se crinquent ensemble, se concertent en petits groupes et se disent : « On va s’en aller sur tel compte et on va l’attaquer » », illustre le professeur. M. Nadeau-Vallée dit d’ailleurs avoir été victime de cette situation et a fait l’objet de
multiples signalements pour certaines de ses publications sur Facebook au mois d’octobre.

Les publications ou les comptes ainsi visés sont alors suspendus par les systèmes de modération automatique dont se gréent les réseaux sociaux. M. Couture indique que ces outils, qui servent notamment à identifier les contenus à caractère pornographique à la suite de signalements des utilisateurs et utilisatrices, peuvent être déjoués et utilisés par des personnes mal intentionnées.

Ce climat peut-il décourager celles et ceux qui disent vouloir lutter contre la désinformation et qui partagent leurs connaissances scientifiques ? « C’est l’aspect que j’aime un peu moins des réseaux sociaux, confie M. Milan. Le jour où on enlèvera l’anonymat [des cyberharceleurs], probablement que ça va ôter une grosse charge de nos épaules. »

Néanmoins, pour le vulgarisateur, le jeu en vaut la chandelle. Discuter de la science et la démystifier est ce qui le motive le plus. « Je mets l’accent sur la méthode scientifique, quelque chose qui est souvent flou, explique le streameur. La pandémie a vraiment mis en avant l’importance d’avoir un esprit critique, d’énoncer une hypothèse et de la tester. Si pendant mon direct, nous avons l’occasion de revenir sur ce concept-là, j’aurai gagné ma soirée ! »

 

*Ces plateformes sont connues pour héberger, entre autres, des contenus antivaccins ou complotistes et participer ainsi à la diffusion de la désinformation. Pour TikTok, écouter le premier épisode de la troisième saison de l’émission Les Décrypteurs. Pour Twitch, lire l’article « Extremists Find a Financial Lifeline on Twitch » du New York Times publié le 27 avril 2021. Pour Instagram, lire le rapport Malgorithm du Center for Countering Digital Hate.
Note de la rédaction : Mathieau Nadeau-Vallée a continué à publier des vidéos sur Tik Tok après l’annonce de sa retraite. Ses vidéos n’étaient pas publiées lors de la mise sous presse. La présente version est fidèle à la version imprimée.