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Rendre sa place à l’art autochtone

« Ce sont des objets que nous, d’emblée, on n’aurait pas mis en lien », avoue le conservateur de la section Culture autochtone du Musée McCord Stewart, Jonathan Lainey. Il explique que l’idée vient de l’artiste, « avec sa vision, son esprit créatif ».

Cette année marque la septième édition de collaboration entre le Musée et la BACA. M.Lainey confie que ce type de partenariat offre une belle visibilité à la collection de l’établissement. « Ça nous permet de faire partie du réseau culturel montréalais, mais ça nous pousse aussi à faire différemment, et donc à apprendre de l’artiste lui-même », explique le conservateur.

Pour MC Snow, la Biennale est un lieu rassembleur. « Nous avons tous des traditions très semblables, et la manière dont on fait les choses peut parfois être différente des autres artistes, précise-t-il. C’est un peu plus accueillant, en quelque sorte. » Il confie pourtant avoir été très intimidé par les galeries et les musées lorsqu’il était plus jeune. « Je me sentais moi-même comme une pièce archéologique! », plaisante-t-il.

Artéfacts et œuvres d’art

Depuis plusieurs années déjà, le Musée McCord Stewart mobilise une foule de ressources afin de mettre en évidence la culture autochtone et de s’engager dans un processus de réconciliation. Son étroite collaboration avec des artistes issus des Premières Nations a donné naissance à bon nombre d’expositions.

Tous les deux ans, la BACA examine le travail actuel et les pratiques des artistes autochtones. « L’exposition a pris beaucoup d’ampleur, mais l’objectif est toujours de permettre aux gens de voir, en un seul endroit, le travail d’un grand nombre d’artistes autochtones », révèle la commissaire de la BACA 2024 Lori Beavis.

C’est par l’entremise de l’œuvre-parcours Nos récits, notre voie: parcours Peel que le Musée et MC Snow sont entrés en contact. Commandée par la Ville de Montréal et longeant la rue Peel, du fleuve Saint-Laurent jusqu’au Mont-Royal, elle se compose de 22 sculptures faites de vestiges autochtones dénichés lors de travaux de réaménagement effectués entre 2016 et 2019.

La création de l’exposition Présence du passé, elle, s’est déroulée en deux temps. MC Snow et M. Lainey ont d’abord sélectionné une quarantaine d’artéfacts, majoritairement d’origine kanien’kehá:ka, dans la collection Culture autochtone du Musée. À cette étape, l’artiste et l’institution muséale ont travaillé de concert. Celle-ci a, par exemple, rendu accessible sa base de données ainsi que ses réserves d’artéfacts, dans laquelle les deux hommes sont allés fouiller pour constituer l’exposition.

« Nous, on donne le plus de marge de manœuvre possible [à l’artiste] parce que c’est une démarche artistique, ce n’est pas une exposition du musée », explique M. Lainey.

Il ajoute que « l’autorité du conservateur » a été mise de côté le plus possible.

MC Snow explique avoir choisi des objets au fort poids symbolique. « Les flèches, qu’on associe normalement à la guerre ou à la chasse au gibier, ça fait partie de nos cérémonies, mentionne-t-il. On envoie des messages avec des flèches vers le ciel, vers le soleil, pour parler au créateur, pour lui dire qu’on est encore ici. »

L’artiste s’est ensuite inspiré de ces objets pour réaliser deux sculptures originales autour desquelles tous les artéfacts de la salle d’exposition gravitent. La première, Raconte-moi une histoire, consiste en un pot blanc brisé sur lequel est projeté un jeu de lumière tandis que la deuxième, Jeune fille au panier, représente une jeune fille tenant un panier percé sous lequel se déverse une cascade de tissu bleu, qui contraste avec la blancheur de l’œuvre.

 

 

Le statut des objets autochtones occupe une place prépondérante dans les débats muséologiques actuels. « Pourquoi les œuvres d’art autochtones ont longtemps été classées comme des objets ethnographiques et se retrouvent plutôt dans les musées d’histoire ou d’ethnohistoire à côté des outils, de canots et des os humains ? » questionne l’ethnologue Isabelle Picard sur le site Internet du Musée national des beaux-arts du Québec.

Il n’est effectivement pas rare d’apercevoir, au sein d’une même salle de musée, des objets utilitaires issus de la culture autochtone — canots, sacs, mocassins — à proximité de tableaux et de sculptures. « C’est défendable comme point de vue, mais en même temps, moi, je trouve qu’on comparait vraiment des pommes et des oranges, estime M. Lainey. Je pense que derrière ça, il y a l’idée que l’art autochtone est partout. »

En faisant dialoguer objets et œuvres d’art dans Présence du passé, MC Snow tente de répondre à un enjeu qui l’a longtemps habité. « Quand j’étais plus jeune, c’était une chose contre laquelle je luttais, cette idée de faire de l’art qui représente seulement la culture autochtone », affirme-t-il.

Il précise qu’« embellir tout » fait partie de l’objet et des traditions des artistes autochtones bien que, « souvent, on va entendre [les autochtones], dire que dans leur langue d’origine, il n’y a pas de mot pour l’art. »

Rendre accessible la culture autochtone

En 2015, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a demandé à l’Association des musées canadiens (AMP) de rédiger un rapport sur l’application dans le contexte muséal des politiques de la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).

Le document qui en a résulté, intitulé Portés à l’action, a ainsi formulé une série de recommandations adressées aux autorités culturelles canadiennes, notamment la mise en place d’une « stratégie cohérente pour identifier et améliorer l’accès aux collections à l’échelle nationale et internationale ».

La présence d’œuvres d’art et d’artéfacts autochtones dans les musées implique effectivement leur absence de leurs cultures d’origine. « Les musées, finalement, se trouvent à être une preuve tangible, matérielle, visible de la dépossession [des communautés], résume M. Lainey. Si on reconnaît qu’on est des institutions qui ont contribué à la dépossession, il faut s’engager à réparer dans la mesure du possible. »

Rendre les objets accessibles aux Premières Nations et leur donner la possibilité d’interpréter leur propre culture fait partie des stratégies de décolonisation mises en place par les établissements muséaux.

« Quand j’étais plus jeune, dans les communautés autochtones, on était rarement proche des musées, se souvient MC Snow. Pour la majorité des jeunes artistes autochtones, on ne voit ça que dans les livres d’histoire ou sur Internet. »

La photographie méticuleuse des objets sous plusieurs angles ainsi que leur numérisation rendent virtuellement accessibles les collections. Les efforts de conservation des musées permettent aussi aux chercheurs et aux artisans autochtones d’entrer en contact avec le patrimoine matériel. « Les artistes, eux, ne veulent pas juste voir une photo en deux dimensions, comme ça, ajoute M. Lainey. Ils veulent regarder comment l’objet est cousu pour en fabriquer de nouveaux chez eux. »

Pour la commissaire Mme Beavis, l’art contemporain autochtone est un moyen de démontrer au public que les Premières Nations utilisent à la fois des pratiques contemporaines matérielles, basées sur la photographie et la vidéo, et des pratiques traditionnelles. « Elles utilisent toujours le perlage et font des choses comme des installations sonores », précise-t-elle.

 

 

« Le passé, c’est important de le préserver et de le redécouvrir perpétuellement, soutient MC Snow. L’art donne un contexte au présent. »

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