Réconcilier la science, l’art et l’éthique

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Par Alain James Dubé
mardi 22 octobre 2019
Réconcilier la science, l'art et l'éthique
Passibles, de Gregory Chatonsky. L’artiste était jumelé avec la bioéthicienne Laurence Devillers, de l'Université Paris-Sorbonne.
Passibles, de Gregory Chatonsky. L’artiste était jumelé avec la bioéthicienne Laurence Devillers, de l'Université Paris-Sorbonne.
Une nouvelle exposition du Centre d’exposition de l’UdeM (CEUM) présente des œuvres d’art et d’essai créées par cinq duos d’artistes et de bioéthiciens. Elle vise à susciter un dialogue concernant les implications éthiques de l’intelligence artificielle (IA) et la place grandissante que celle-ci occupe dans le domaine de la santé.

Les nouveaux états d’êtres est le nom de l’exposition collective réalisée par cinq duos de créateurs, dont l’artiste montréalais Clément de Gaulejac et la bioéthicienne et professeure titulaire à l’École de santé publique de l’UdeM Pascale Lehoux. Tous deux invitent le public à réfléchir aux rapports de force entre l’humain et l’IA dans le domaine de la santé. « Il y a une ambiguïté, un double sens du mot « problème », qui est à la fois un problème à résoudre au sens mathématique, et un problème plus existentiel », affirme M. de Gaulejac.

Mme Lehoux a écrit un essai intitulé Rendre visible l’invisible avec AI-ship : Réflexions à propos des arts visuels et de l’innovation responsable en santé, tandis que M. de Gaulejac a émergé de son processus créatif avec une œuvre lumineuse en néon avec l’aphorisme : AI solves problems but it doesn’t have any [L’IA résout des problèmes, mais n’en présente pas].

Un processus collaboratif

M. de Gaulejac explique qu’il faut regarder au-delà de la simple utilité d’une application quelconque de l’IA dans le domaine de la santé. « Un aspect éthique nous intéressait tous les deux : l’ambivalence qu’il peut y avoir à s’attendre que l’IA assure des tâches qui sont liées aux soins, précise-t-il. Ce n’est pas une mauvaise idée en soi, mais on trouve qu’elle mérite d’être regardée, d’être interrogée. »

Sa collègue Mme Lehoux croit elle aussi que le débat public sur la question est déficient à quelques égards. « Dans le discours public, il y a un certain nombre d’aspects qui sont mis de l’avant, souligne-t-elle. On parle beaucoup de promesses et d’investissements, mais il y a d’autres aspects qui sont absents du débat. »

Simplifier l’équation

Selon Mme Lehoux, la difficulté de la tâche était de cristalliser en matière ces idées de nature éthique ou philosophique. « L’IA, c’est comme un gros magma, énonce-t-elle. C’est difficile d’en définir les contours. Qu’est-ce que ça inclut ? Qu’est-ce que ça exclut ? »

Cette exposition est le premier volet du projet collaboratif en art et science AIship, selon le texte explicatif de l’exposition. Ce mot est une combinaison de l’acronyme anglais pour désigner l’IA et du suffixe -ship, qui signifie « le fait ou l’état d’être ». « Ce projet vise à mettre en évidence les aspects relationnels et émotionnels associés à l’utilisation de l’IA en santé ainsi que les enjeux éthiques qui en découlent », indique le site Internet de l’exposition.

Les avantages de l’interdisciplinarité

Les artistes visuels Bettina Forget et Yann Pocreau ont participé l’été dernier à une résidence artistique qui soulignait le 40e anniversaire de l’Observatoire du Mont-Mégantic. Leur travail a d’abord été présenté au CEUM dans le cadre de l’exposition Merveilles célestes, qui s’est terminée à la fin du mois de septembre. Une version abrégée de l’exposition a toutefois été installée au CEUM du campus MIL.

« L’avantage du partenariat entre la science et l’art est que la science est pleine de jargon, alors que l’art ne l’est pas, développe Mme Forget. L’art fait de la science une expérience. C’est vraiment mon objectif et mon mandat lorsque je fais ce type de collaborations. » L’artiste est également astronome amateur et directrice de la Visual Voice Gallery, une galerie qui se donne pour mandat de présenter des œuvres collaboratives d’art et de science.

« Cette collaboration entre les disciplines crée donc, en quelque sorte, un équilibre entre de nouveaux domaines de connaissance », ajoute-t-elle, précisant que bien que l’art et la science soient des domaines très différents, ils font plus ou moins, selon elle, la même chose. « Dans la recherche, il y a de l’expérimentation, une volonté de répondre à des questions de recherche de base, poursuit-elle. Les artistes sont très bons pour l’autoréflexion : c’est pourquoi il y a autant d’institutions scientifiques qui invitent maintenant des artistes à y faire des résidences. »

L’exposition Les nouveaux états d’êtres est présentée au CEUM, au pavillon de la Faculté d’aménagement, du 27 septembre au 14 décembre 2019. La mini-exposition Merveilles célestes était présentée au CEUM de la bibliothèque du campus MIL jusqu’au 14 octobre.