Les artistes Michel Lemelin et Simon Emond ont associé leurs moyens d’expression artistique, l’écriture et la photographie, pour créer l’œuvre Rebâtir le ciel. Celle-ci, sous forme de livre sans pour autant en être un, célèbre la diversité humaine, révèle ses souffrances comme sa beauté et questionne notre rapport à l’identité, au genre et au désir.
Rebâtir le ciel s’articule autour des témoignages de 30 personnes issues de la diversité sexuelle et de genre. Toutes habitent en région ou y sont nées. « On entend moins la parole des personnes en région, il n’y a pas de rassemblement, de bar gai ou queer, donc on est beaucoup plus ravalé par l’homophobie intériorisée, explique Simon. J’avais un désir énorme de dire que la diversité est présente ici aussi. »
Ces personnes racontent leur parcours, décrivent la violence, mais aussi les victoires vécues en lien avec leur identité de genre ou leur orientation sexuelle. À travers l’œuvre, l’ensemble des témoignages s’exprime en mots ou en images. « Quand on est issu de la diversité, on nous enferme dans un placard, poursuit Simon. Et là, on a fait exploser le placard pour libérer autant notre souffrance que la beauté de la diversité. »
Ressentir plutôt que nommer
Pourtant, Rebâtir le ciel ne nomme pas toutes les identités ou ne mentionne pas clairement les mécanismes d’oppression qui opèrent contre les communautés. « L’objectif est de faire vivre quelque chose aux lecteurs et aux lectrices pour qu’ils et elles aillent ensuite faire des recherches pour s’intéresser à nous, ou même pour se découvrir », précise Simon.
Les deux artistes souhaitent utiliser l’œuvre pour susciter la curiosité et pousser les personnes à s’éduquer sur la diversité. « On veut utiliser le ressenti pour faire comprendre aux gens les mécanismes d’oppression inconscients présents dans la société, mais aussi pour attiser leur curiosité, qu’ils et elles s’ouvrent aux humains et humaines présents devant eux », révèle Simon.
Grâce au financement du Conseil des arts de Saguenay, l’œuvre deviendra un outil pédagogique pour développer une formation visant à reconnaître les mécanismes d’oppression.
Une œuvre multidisciplinaire, des artistes complémentaires
Michel et Simon ont uni leurs compétences pour créer cette œuvre multidisciplinaire. Simon décrit son processus créatif et revient sur le côté sombre des photographies. « J’allais prendre les photos dehors, le soir, pour rappeler le ciel, mais aussi parce que quand tu es enfermé dans un placard, il fait noir, et pour arriver à voir ta lumière, il faut éteindre toutes les autres », illustre-t-il.
La noirceur des images vient mettre l’accent sur la complexité de l’être humain, elle est également un moyen de conserver l’anonymat des 30 témoins. « Certaines personnes n’étaient pas révélées, mais c’était aussi un moyen de brouiller le genre des individus, on est juste devant des corps et “that’s it” », décrit Simon.
Pour les textes, Michel a écouté les témoignages pendant plusieurs mois afin de s’en imprégner. Il utilise des moments clefs, fait parler les personnes dans leurs silences, dans leur souffle. « Ça donne des écrits à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, il n’y a pas de noms associés, pas de titres, donc on ne sait pas qui prend la parole, tout est brouillé », affirme Simon.
Les textes sont poignants et crus. À l’inverse, les photographies viennent apaiser, formant un tout complémentaire.
Un titre évocateur
Quand Simon parle de Rebâtir le ciel, on comprend que ce titre n’est pas anodin.
“Supernova”, “planète brune” ou “planète naine”, l’artiste décrit comme complexe le langage du ciel. En comparaison, celui de l’identité tourne autour de certaines normes : homme ou femme, hétérosexuel ou homosexuel. « Pourtant, c’est bien plus complexe que ça ! s’exclame Simon. Donc, Rebâtir le ciel, c’est rebâtir le langage par rapport à son identité, de la même façon qu’on reconstruit sans cesse la carte du ciel depuis des siècles. »
Les deux artistes avancent que nous sommes actuellement dans une révolution du genre et du désir, qui s’apparente à la révolution copernicienne du XVIesiècle. « L’être humain est complexe et varié, il y a tout un spectre relié à son l’identité, explique Simon. Mais on retrouve une forme de résistance à cette idée, l’hétéro normativité ou la binarité vont venir nous demander de nous taire. »
La forme importe autant que le fond
Si Rebâtir le ciel a l’apparence d’un livre, elle n’en est pas vraiment un. Simon décrit plutôt l’œuvre comme un objet iconoclaste, protéiforme. « Elle a sa propre identité, elle n’a pas les codes normaux du livre, affirme-t-il. Pour ce projet, il faut revoir notre lecture du livre, tout comme nous revoyons notre lecture du genre. »
Son grand format engage les lecteurs et les lectrices dans sa lecture, selon l’artiste, car il faut entrer en relation avec l’objet pour l’apprécier. « Le livre est tellement gros qu’il faut le déposer pour le regarder, le corps est engagé dans la lecture et pour l’apprécier, tu ne peux pas le lire dans un autobus ou sur un banc, »,précise Simon.
Sortie fin octobre, Rebâtir le ciel est disponible dans plusieurs librairies du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de Québec et de Montréal.