Quelle place pour les femmes en 2023?

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Par Juliette Straet
lundi 20 novembre 2023
Quelle place pour les femmes en 2023?
Crédit photo: Juliette Diallo
Crédit photo: Juliette Diallo
Le milieu de l’ingénierie est toujours dominé par les hommes en 2023. Les femmes ne représentent actuellement que 30 % des diplômé·e·s de Polytechnique Montréal, un chiffre toutefois bien plus élevé que la moyenne québécoise, qui est de 20 %. La célébration des 150 ans de la plus grande faculté d’ingénierie au Québec est l’occasion de s’interroger sur l’évolution de la place des femmes dans le domaine.

Bien que les hommes restent majoritaires, la proportion de femmes à Polytechnique Montréal continue d’augmenter.

L’école d’ingénierie montréalaise fait donc office de bonne élève dans le paysage universitaire. « C’est un bon début, mais on n’a pas encore atteint la parité », rappelle toutefois la professeure au Département de mathématiques et de génie industriel de Polytechnique Montréal, Virginie Francoeur. Le corps professoral de l’établissement est encore moins paritaire, avec seulement 19% de femmes.

L’enseignement au féminin

Comme l’explique Mme Francoeur, les femmes font face à des obstacles auxquels leurs collègues masculins ne se heurtent pas. Elle déplore, par exemple, que les pauses de carrière liées à une grossesse, l’investissement bénévole ou encore la production de contenus non scientifiques ne soient pas suffisamment pris en compte. L’obtention d’une promotion serait également plus difficile pour une femme, selon Mme Francoeur.

« Au niveau des critères de rayonnement dans le milieu universitaire, c’est encore très quantitatif, regrette-t-elle. J’espère que des femmes comme mes collègues et moi vont ouvrir la voie à des changements d’évaluation. »

Le manque de femmes au sein du corps professoral a aussi un impact sur la charge de travail des professeures et des chercheuses, explique Mme Francoeur. Celles-ci ont tendance à être sursollicitées, par exemple, pour satisfaire aux exigences de mixité de certains comités. Cette situation peut mener à un sentiment de culpabilité au moment de refuser certaines propositions pour se concentrer sur sa carrière, selon la professeure.

Les inégalités de genre en recherche ne concernent pas uniquement le domaine de l’ingénierie. « Les milieux universitaires ont quand même été traditionnellement construits par et pour les hommes », souligne Mme Francoeur.

L’expérience étudiante

Les étudiantes que Quartier Libre a interrogées considèrent avoir les mêmes possibilités que leurs homologues masculins. « Pour l’instant, ça se passe super bien, déclare l’étudiante de quatrième année au baccalauréat en génie biomédical Béatrice Fayad-Ethier. En classe, tout le monde est respectueux ». De son côté, l’étudiante de première année à la maîtrise en génie biomédical Marjolaine Malgéri abonde dans le même sens. «Dans mon programme, je n’ai pas l’impression d’être discriminée ou de ne pas avoir toutes les opportunités que je pourrais avoir », indique-t-elle.

Néanmoins, les deux étudiantes reconnaissent que leur situation est particulière, puisqu’elles sont toutes deux en génie biomédical, le programme le plus paritaire de Polytechnique. « Pour celles qui sont en génie mécanique ou en génie logiciel, c’est peut-être plus difficile », suggère Béatrice Fayad-Ethier. Des différences se font ainsi sentir sur le plan de la parité entre les programmes. En 2019, les femmes étaient majoritaires dans les programmes de génie chimique et de génie biomédical, alors qu’elles ne représentaient que 15,7 % des personnes inscrites en génie logiciel.

Un essai mené en 2015 par Julie Rivet, alors étudiante à la maîtrise en enseignement des sciences et des technologies au secondaire à l’Université du Québec à Trois-Rivières, démontre que les stéréotypes de genre liés aux domaines scientifiques et à l’ingénierie touchent encore les choix d’orientation des étudiant·e·s. « De manière stéréotypée, les filières [comme le génie mécanique] sont plus pour les garçons, confirme Marjolaine Malgéri. En tout cas, on a dû mal à se projeter dans ces secteurs au moment de choisir ses études. »

Virginie Francoeur, professeure au Département de mathématiques et de génie industriel de Polytechnique Montréal. Courtoisie photo: Caroline Perron

 

L’étudiante confie avoir tendance à être plus exigeante envers elle-même, un sentiment que partagent plusieurs de ses amies.  «Je me remets beaucoup en question avant de me sentir capable de faire quelque chose», avoue-t-elle.

«Certains garçons vont moins se poser de questions avant de se sentir légitimes.» Malgré ce sentiment, Marjolaine Malgéri reste confiante quant à sa future carrière. Béatrice Fayad-Ethier, elle aussi, aborde sereinement la transition vers le monde du travail. «Je crois qu’on a les capacités et les connaissances dont [les employeurs] ont besoin», affirme-t-elle.

Le faible nombre de femmes en génie est un phénomène courant au Canada et dans le monde. C’est pourquoi l’initiative «30 en 30» a été créée. Elle a pour objectif d’atteindre 30 % de femmes en génie d’ici 2030. Polytechnique Montréal a pour sa part atteint cet objectif en 2020, prouvant ainsi que celui-ci est réalisable.

2022

C’est l’année où l’ancienne présidente de
l’Ordre des ingénieurs du Québec, Maud
Cohen, est nommée à la tête de l’école
d’ingénierie. Elle est la première femme
directrice de Polytechnique
Montréal.

 

Actions pour une plus grande diversité

«Ce qu’il faut vraiment, ce sont des modèles féminins», insiste Mme Francoeur en faisant référence au manque de représentativité des femmes dans la profession. Polytechnique Montréal a bien compris cet enjeu et a mis en place plusieurs actions qui mettent de l’avant les femmes en génie.

Le programme 40 femmes / 40 semaines met à l’honneur des femmes professeures. Des capsules vidéo qui présentent leur parcours sont en ligne sur le site Internet de Polytechnique Montréal. Mme Francoeur a d’ailleurs participé à ce programme. «Dès que je suis arrivée, on m’a dit qu’on voulait mettre en avant des profils de femmes, précise-t-elle. Il y a peu de femmes, mais il y a des actions pour valoriser notre parcours. J’ai senti qu’il y avait une ouverture à ce niveau-là. »

Plusieurs bourses sont aussi accordées exclusivement aux étudiantes au moment de leur admission, notamment pour encourager la mobilité professionnelle ou le travail en recherche des femmes. Des comités étudiants ont aussi été créés pour sensibiliser et faire la promotion du génie au féminin. Les comités Poly-FI et Poly-L organisent ainsi des conférences à l’UdeM et mettent en place des actions dans les écoles primaires et secondaires pour susciter l’intérêt des filles pour les sciences et déconstruire les stéréotypes.

«Je pense que les initiatives peuvent aussi venir des professeurs, estime Mme Francoeur. En tant que professeur, on a aussi un rôle à jouer : sensibiliser les étudiants à certains enjeux et leur montrer l’impact des inégalités de genre.»

La tragédie de 1989

L’histoire des femmes est une question particulièrement sensible à Polytechnique Montréal. Le 6 décembre 1989, Marc Lépine y a assassiné 14 femmes. Cette tragédie, qualifiée d’attentat antiféministe, a marqué l’histoire du Canada. Ce féminicide de masse continue d’affecter les ingénieures. « Pour les femmes professeures, c’est sûr que ça nous touche, confie Mme Francoeur. On se dit : “Ça aurait pu être moi.” »

Chaque année, l’établissement organise une semaine de commémoration pour rendre hommage aux victimes. À cette occasion, une campagne de financement, la Semaine de la rose blanche, est organisée au profit de l’organisme Folie Technique. Celui-ci propose des activités de sensibilisation aux sciences à des filles issues de milieux défavorisés.

Selon Mme Francoeur, Polytechnique Montréal a un devoir de mémoire à assurer envers les victimes de cette tragédie. «Tant qu’on n’atteindra pas la parité à Polytechnique, il faudra continuer de souligner cet évènement tragique, parce que
ça nous rappelle d’où on vient », soutient-elle.