Culture

Quelle place pour la communauté noire dans les médias?

« J’ai presque toujours été la seule de ma gang dans 100 % de mes milieux de travail », confie la journaliste et animatrice Noémi Mercier, qui ajoute que le meurtre de Georges Floyd par un policier aux États-Unis en 2020 a été un déclencheur et a amené une prise de conscience. Cependant, selon elle, le plus gros changement a été davantage observé dans la nature des discussions que dans le nombre d’employé·e·s issu·e·s de la diversité dans les médias. Elle constate que même si elle n’avait jamais perçu de tels changements auparavant, beaucoup d’initiatives ont été menées dans la précipitation.

Selon le fondateur de la chaîne Natyf TV, le producteur Jean-Yves Roux, cet évènement a tout de même amené des personnes à profiter de cette occasion en offrant des incitatifs financiers. Il déplore que les changements aient été opérés en surface et que le milieu des médias au Québec « ait 20 ans de retard » sur la représentativité des communautés culturelles.

Représentation et représentativité

La professeure adjointe à la Faculté des arts et des sciences Pascale Caidor explique qu’au Québec, une personne sur 25 est afrodescendante, un chiffre qui devrait d’ailleurs augmenter dans les prochaines années. Elle estime que ce poids démographique n’est pas représenté dans les médias.

Mme Caidor précise que pour qu’il y ait une représentation physique, les personnes d’une communauté donnée doivent participer à écrire l’histoire, devant comme derrière la caméra. La représentation symbolique correspond quant à elle à l’image qui est renvoyée d’une communauté. Les images véhiculées actuellement donnent souvent une vision négative des personnes noires, qui sont par exemple liées à la criminalité. « Cela a d’ailleurs des conséquences concrètes comme la pratique du profilage racial », souligne-t-elle.

La professeure affirme d’ailleurs que cette représentation négative a un impact sur la confiance en soi des membres d’une communauté. Elle donne pour exemple le test populaire de la poupée au cours duquel il est demandé à des fillettes noires de choisir entre une poupée blanche et une poupée noire. La majorité d’entre elles choisissent la poupée blanche, qu’elles trouvent « plus belle et plus gentille. »

Mme Mercier abonde d’ailleurs dans ce sens. « Au Québec, il y a une vision réductrice de ce qu’est un Québécois », constate-t-elle. La journaliste affirme que les médias ont un grand rôle à jouer pour renforcer la représentativité des personnes issues de la diversité.

A l’image la francophonie

M. Roux ajoute que l’écosystème médiatique québécois est à l’image de la spécificité francophone de la province. Mais, selon lui, la question de la francophonie dans le monde doit aussi être posée. « La majorité des gens qui parlent le français sur la planète sont en Afrique », assure-t-il. Pour lui, les médias du Québec, de la Suisse, de la France ou de la Belgique vont devoir cesser de produire comme s’ils étaient « le nombril du monde francophone » et s’adapter à leur public.

Le fondateur de Natyf TV soutient par ailleurs qu’au-delà de la représentation à l’écran, c’est aussi en racontant eux-mêmes les histoires, en disposant des propriétés intellectuelles de ces dernières et en étant propriétaires de sociétés de production que la communauté noire doit prendre la place. « L’argent doit aussi être dans les poches des personnes noires, poursuit-il. On ne peut pas être juste des consommateurs ou des employés. »

Le producteur ajoute que plus de 80 % de l’argent disponible pour produire du contenu provient des taxes payées par les contribuables. « Si aucun producteur n’accepte de diffuser [les productions des personnes noires], ils n’auront jamais leur chance », déplore-t-il. Selon lui, l’équité économique est la clé.

M. Roux pointe également du doigt la trop grande pression de réussite immédiate sur les personnes de la diversité. « Bizarrement, les autres ont pu avoir deux, trois échecs avant d’avoir des succès, soutient-il. Alors qu’à nous, on donne une seule chance et c’est mieux de marcher tout de suite. »

La conférence était organisée en collaboration avec le Centre culturel afro-canadien de Montréal (CCAM), en marge du Mois de l’histoire des Noirs.

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