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La doctorante en neuropsychologie à l’UdeM Chanel Marion-St-Onge, s’intéresse aux désavantages de l'oreille absolue. Image par NeiFo de Pixabay

Quand l’oreille absolue agace

L’oreille absolue est une aptitude que possèdent certains musiciens et qui permet à ces derniers de reconnaître les notes de musique correspondant à un son, et ce, sans référence préalable. Mais cet atout peut devenir un inconvénient. Quartier Libre s’est entretenu avec la doctorante en neuropsychologie à l’UdeM Chanel Marion-St-Onge, qui s’intéresse à ses désavantages.

Quartier Libre : Quels sont les effets négatifs de l’oreille absolue ?

Chanel Marion-St-Onge : Ils varient selon les personnes. Ce qui revient le plus souvent en termes d’effets négatifs, c’est le fait d’être dérangé en écoutant de la musique. Comme les notes viennent en tête, ça empêche d’en profiter. La personne sera déconcentrée, parce que plutôt que d’entendre la mélodie, elle entendra par exemple « la », « do » ou « si ». D’autres seront dérangées par les bruits ambiants pour la même raison. C’est-à-dire que si elles entendent quelqu’un se moucher, pour elles, c’est une note. Même chose pour un klaxon. Ça peut devenir étourdissant.

 Q. L. : Est-ce que tous ceux qui possèdent l’oreille absolue ressentent ces effets négatifs ?

C. M-S-O.: Non, ce n’est pas tout le monde qui perçoit les effets négatifs ou qui est incommodé par son oreille absolue. C’est une question de perception. Il y en a qui vont trouver ça plus tannant que d’autres.

Cependant, il y a des choses qui sont un peu plus universelles. Jouer sur un instrument désaccordé procurera sensiblement le même désagrément pour tous ceux qui possèdent l’oreille absolue, puisqu’ils associent une note aux sons perçus. Dans ce cas, la note qu’ils essaient de jouer n’est pas le son qu’ils entendent. Lorsque l’on est particulièrement conscient de cette différence, ça devient irritant.

Q. L. : Qu’est-ce qui explique que certains ressentent plus fortement ces effets négatifs ?

C. M-S-O. : C’est parce qu’il y a plusieurs manières d’avoir l’oreille absolue. Certains ont une oreille absolue qu’on pourrait dire de base, ou quasi absolue. Ils sont capables de reconnaître une note hors contexte, par exemple le « la » avec lequel on accorde souvent un instrument d’orchestre. Ou bien ils n’ont l’oreille absolue que pour un instrument, généralement celui qu’ils pratiquent.

Pour d’autres, c’est plus intense, c’est-à-dire que ça s’applique à beaucoup de sons. Pour eux, quand il y a plusieurs stimuli associés à des notes, ça peut devenir plus dérangeant que pour ceux qui ont une oreille quasi absolue.

Q. L. : Est-ce qu’il y a des choses à faire pour apaiser les inconvénients ?

C. M-S-O. : Il faut d’abord prendre le temps de toujours accorder son instrument comme il faut. Ce n’est pas un caprice, dans ce cas, ça devient nécessaire. Ceux qui ont l’oreille absolue seulement pour un instrument ont plus d’options. Ils peuvent écouter un autre type d’instrument pour se relaxer sans que ça vienne les déranger.

Q. L. : Est-ce que l’oreille absolue se modifie ou disparait avec le temps, emportant avec elle les effets négatifs ?

C. M-S-O.: Certaines études démontrent aussi qu’avec l’âge, l’oreille absolue peut changer. Mais ce n’est pas toujours pour le mieux. L’oreille absolue peut se désaccorder, et les notes entendues seront un peu plus aigües que ce qu’elles sont vraiment. Ça peut devenir une nouvelle source de dérangement. Il faut dire que ces études sont faites sur de grands groupes, donc il est possible que certains ne voient aucune différence avec l’âge.

Q. L.: Si elles avaient le choix, est-ce que les personnes qui vivent les inconvénients de l’oreille absolue préféreraient s’en passer ?

C. M-S-O.: C’est une question qui m’a beaucoup intriguée. Je me rappelle d’une personne en particulier, qui avait une oreille absolue assez extrême. Elle pouvait avoir de la difficulté à maintenir une conversation dehors s’il y avait beaucoup de bruit, parce que les sons correspondaient à toutes sortes de notes et ça la dérangeait. Mais en même temps, elle ne pouvait pas dire qu’elle s’en passerait. C’était comme lui enlever quelque chose qui faisait partie d’elle.

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