Quand les étudiants perdent le nord

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Par Karina Sanchez
mercredi 27 novembre 2013
Quand les étudiants perdent le nord
«Je crois fermement qu’une diffusion plus large serait utile, ne serait-ce que pour sauver quelques étudiants de sombrer dans la réalité de l’indécision» PIERRE CANISIUS KAMANZI Chercheur à la Faculté des sciences de l’éducation. (crédit photo : Pascal Dumont)
«Je crois fermement qu’une diffusion plus large serait utile, ne serait-ce que pour sauver quelques étudiants de sombrer dans la réalité de l’indécision» PIERRE CANISIUS KAMANZI Chercheur à la Faculté des sciences de l’éducation. (crédit photo : Pascal Dumont)

Quel étudiant n’a pas déjà pensé à changer de programme d’études ? L’Université est la première ressource vers laquelle les étudiants devraient s’orienter. Toutefois, les services d’aide à l’orientation demeurent méconnus sur le campus de l’UdeM.

Le nombre d’étudiants aux prises avec les défis de l’indécision vocationnelle à l’UdeM reste méconnu. La coordonnatrice par intérim du service Orientation scolaire et professionnelle du Centre étudiant de soutien à la réussite (CÉSAR), France Dodier, explique que «cette information n’est pas archivée ou calculée au CÉSAR». Toutefois, une étude apparue dans le Canadian Journal of Career Development en 2003, évalue la proportion totale des étudiants en première année d’études universitaires qui sont soit très indécis ou un peu indécis quant à leur choix de carrière, à près de 64,4%. D’autre part, une étude menée par les professeurs Manuel Crespo et France Houle de l’UdeM en 1995 a permis d’établir une corrélation évidente entre l’indécision professionnelle et l’abandon des études universitaires.

Le service d’orientation scolaire n’est pas publicisé à l’Université. À l’opposé, les affiches du CEPSUM prônant l’importance de l’activité physique, les rappels sur des ateliers de préparation à l’emploi, ainsi que l’invitation à des activités culturelles abondent. Le manque de publicité signifierait que l’indécision vocationnelle, c’est-à-dire la difficulté à choisir une destination professionnelle, n’est pas un problème à l’UdeM. Ce n’est pas ce que croit Mme Dodier. «C’est un problème important qui peut se voir dans toutes les universités », précise la coordonnatrice. Pourquoi ce service ne bénéficie pas d’autant d’espace publicitaire que d’autres, Mme Dodier ne le sait pas. «Ce n’est pas le CÉSAR qui détermine quel service de notre Centre sera publicisé, souligne-t-elle. Cela fait partie d’une autre instance. »

Rejoindre une majorité

La conseillère en communications aux Services aux étudiants (SAÉ), Virginie Roy, travaille en collaboration avec les organisations qui desservent la communauté estudiantine, dont le CÉSAR. «L’orientation scolaire n’est pas plus mal représentée qu’un autre service, dit-elle. Il y en a d’autres aussi qui sont peu connus. Pour améliorer leur représentation, il faut faire des recherches. C’est un travail en profondeur qui peut prendre des mois. » Elle croit que ce n’est pas la publicité qui fera une grande différence. «Il n’y a pas de meilleure expérience que de franchir la porte du CÉSAR et de rencontrer un professionnel, selon l’ancienne stratège d’une agence de publicité. Le plus important ce ne sont pas les affiches, mais les relations humaines, le one-to-oneEmployée depuis le mois d’août dernier, elle explique qu’elle a été recrutée afin d’améliorer les mécanismes de communication du SAÉ en fonction des besoins des étudiants. Le fait que ce service ne soit pas promu peut aussi renforcer l’isolement. «Souvent les étudiants peuvent s’abstenir de parler de leur problème par peur du jugement, avance le professeur titulaire au Département de psychologie de l’UdeM Luc Brunet. Le manque de contenu à ce sujet sur le campus évite qu’on y porte une réflexion. Le fait que ce service ne soit pas vraiment connu ni publicisé fait en sorte que l’étudiant peut éviter de se poser des questions par rapport à ce qu’il vit. » Il complète son idée en expliquant qu’une discussion plus ouverte sur l’espace social du campus peut aider à normaliser cet enjeu et à réduire le malaise subi par l’étudiant indécis.

«Je ne crois pas que ce type d’enjeu soit un problème individualisé, déclare le professeur en communication organisationnelle de l’UdeM Boris Brummans. Je pense qu’une majorité d’étudiants en viennent à se questionner sur la pertinence de leurs études. C’est normal et même souhaitable.» Il précise qu’un étudiant trop confiant qui ne se poserait pas du tout de questions viendrait peut-être à regretter de ne pas l’avoir fait plus tôt.

Des professeurs ressources

Les professeurs sont régulièrement sollicités par les étudiants indécis, car ils représentent des sources de références. C’est le cas de M. Brummans qui relate qu’il reçoit parfois à son bureau des étudiants qui se questionnent sur la direction et les possibilités qui découlent de leur programme d’études. Toutefois, il n’a jamais eu le réflexe d’orienter les étudiants vers le CÉSAR pour la simple raison qu’il ne connaissait pas ce service avant l’entrevue. «Je suis à l’UdeM depuis 2004 et c’est la première fois que j’entends parler du CÉSAR, assure le professeur en communication organisationnelle. Lorsqu’un étudiant vient à mon bureau avec des questions sur son parcours, j’essaie de lui répondre du mieux de mes connaissances.»

Le chercheur à la Faculté des sciences de l’éducation Pierre Canisius Kamanzi est d’avis qu’il faut pousser sur la visibilité de ce service. « Je crois fermement qu’une diffusion plus large serait utile, ne serait-ce que pour sauver quelques étudiants de sombrer dans la réalité de l’indécision », affirme-t-il. Il va jusqu’à suggérer une communication plus fluide entre le CÉSAR et les associations étudiantes qui ont pour rôle d’informer avec assiduité les services disponibles aux étudiants. Il insiste aussi sur l’importance de faire connaître le service en temps opportun. « Cette information doit être communiquée idéalement lorsqu’un étudiant débute son programme pour qu’il puisse réagir rapidement et chercher du soutien au besoin », lance le chercheur de la Faculté des sciences de l’éducation.

M. Kamanzi conclut dans ses recherches que les étudiants les plus à risque de se retrouver dans un contexte d’indécision sont souvent ceux qui découlent d’une famille non scolarisée (niveau universitaire) ou immigrante. Ils ne peuvent bénéficier des conseils quant à leur carrière auprès de leurs parents ou de leurs frères et sœurs, car ces derniers méconnaissent souvent le système éducatif et même le marché.

Les réalités de la réorientation

Un coût est associé au service d’orientation scolaire. Il peut avoir un effet démotivant pour quelques-uns. C’est le cas de l’ancienne étudiante au programme d’accès aux études universitaires Myrlaine Bien-Aimé. Après une session à l’automne 2012, elle se rend compte qu’elle a besoin de rediriger son parcours. Son premier rendez-vous au CÉSAR lui laisse alors une impression amère. Elle est informée qu’elle doit dépenser 15 $ par visite pour approfondir sa connaissance de soi et qu’au moins six rencontres lui sont nécessaires. «J’ai trouvé cela injuste, dit-elle. Mes revenus ont diminué depuis que je m’investis à temps plein à l’école. Je trouve que j’ai déjà assez dépensé pour des cours qui finalement ne m’ont pas vraiment servi. Et là, on me demande d’investir au minimum une centaine de dollars de plus». Elle explique que son indignation s’est amplifiée quand elle a découvert qu’un carrefour jeunesse-emploi (CJE) dans son quartier pouvait lui fournir des services d’orientation gratuitement.

Mme Dodier précise que le sentiment d’indécision est plus courant chez les étudiants inscrits dans des programmes plus généraux, tels que les communications, les sciences politiques ou les études internationales. Parfois, il s’agit de simplement les aider à peaufiner leur vision dans une perspective d’entonnoir pour mieux diriger leur attention vers quelque chose de plus concret et qui concorde avec leurs intérêts, suggère la coordonnatrice du CÉSAR.