Quand l’armée joue à Total Recall

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Par Helene Lopez
mercredi 13 octobre 2010
Quand l'armée joue à Total Recall

Avec l’engagement des Forces canadiennes en Afghanistan, les cas de syndromes posttraumatiques risquent de grimper en flèches. Pour y faire face, l’armée met au point des techniques de guérison sorties tout droit d’un film de science-fiction.

«Quand je suis sorti de l’armée, je ne dorm a i s q u e t r o i s heures par nuit», raconte Pierre (nom fictif), un ancien sergent dans les Forces armées canadiennes. Il raconte que le sommeil ne lui venait plus facilement après avoir servi. «Avec trois heures de sommeil par soir, tu deviens grognon, impatient. De plus, tes relations interpersonnelles se détériorent à vue d’oeil et tu ne peux rien y faire.» Pierre ne savait pas alors que ses symptômes étaient reliés au syndrome de stress post-traumatique (SSPT).

Déployé au nord de l’Afrique avec la Légion étrangère française, il raconte qu’un jour, il a vu une personne s’avancer vers le campement des soldats. Malgré deux tirs de sommation, la personne a continué à avancer. Sur les ordres de son commandant, Pierre a dû tirer sur l’ennemi, qui tomba au sol, inerte. Peu après, le corps a explosé. Il s’agissait en fait d’une fillette de sept ans que ses parents avaient bardée d’explosifs et envoyée vers le campement. Pierre admet que pendant longtemps il était incapable d’en parler. Il se sentait fonctionnel, mais de temps à autre les souvenirs revenaient et ses proches ne savaient pas comment l’aider.

Il n’est pas seul. De 8 à 10 % de la population canadienne vit avec l’anxiété et la dépression causée par un stress relié à un traumatisme tel que les attentats du 11 septembre. De la même façon, nombre de soldats qui ont vu leur vie bouleversée en mission ne savent plus comment revenir à leur vie quotidienne. Le lieutenant-colonel Stéphane Grenier, conseiller spécial de la Défense nationale, affirme que 7 % des militaires déployés développeront un stress relié aux évènements vécus. C’est pourquoi les armées canadiennes et américaines conçoivent des nouveaux traitements qui vont au-delà de la médication et de la thérapie traditionnelle.

Je me souviens

Par exemple, la Défense nationale prévoit faire l’acquisition de deux systèmes virtuels CAREN à Ottawa. « Ces systèmes virtuels permettront de reproduire les évènements traumatiques dans un environnement contrôlé et permettront ainsi de diagnostiquer le SSPT plus facilement», affirme le lieutenant-colonel Dr Rakesh Jetly, psychiatre et conseiller en santé mentale de la Défense nationale du Canada. Ce système permet d’analyser le comportement et le système sensoriel des patients vis-àvis l’image reproduite.

Plus controversé que la réalité virtuelle, le Eye Movement Desensitiza tion and Reprocessing (EMDR) est une psychothérapie qui utilise la main comme outil thérapeutique. Le thérapeute fait aller sa main de gauche à droite devant le patient, tel un métronome, en même temps que les évènements traumatiques sont évoqués. Le thérapeute observe alors le mouvement rapide des yeux pendant que le patient se remémore l’évènement. «Souvent les patients affirment revivre l’évènement avec la même intensité que lorsqu’il est survenu, explique le Dr Stéphane Guay, spécialiste en SSPT au Centre de recherche Fernand-Seguin. Le but des sessions d’EMDR est de permettre au patient de se rappeler les images sans revivre les émotions initiales attachées à ces pensées.»

D’autres voies encore plus ésotériques sont aussi envisagées. Aux États-Unis, des recherches sont effectuées sur les drogues psychédéliques, telles que le LSD et l’ecstasy. Celles-ci diminuent le sentiment d’anxiété en réduisant le sentiment de peur. Autre méthode non conventionnelle, une organisation sans but lucratif à San Diego, appelée Freedom Dogs, entraîne des chiens afin qu’ils servent d’outils thérapeutiques pour les soldats rentrant d’Afghanistan. Ces chiens spécialisés ressentent la panique chez leur maître et le réconfortent avec leur toucher.

Prouver son mal

De son côté, Pierre n’a pas choisi une de ces méthodes futuristes. Il a suivi un traitement conventionnel (psychologue et médication), mais il a d’abord dû prouver à l’armée qu’il était souffrant. Au début, le psychologue de l’armée l’avait déclaré fonctionnel et prêt à retourner à la vie normale. Pierre a donc cherché l’avis de trois différents psychologues indépendants et tous ont conclu la même chose ; il n’était pas guéri. Aujourd’hui, Pierre semble en santé, mais il lui reste encore du chemin à faire. « J’ai réussi à retrouver à 95 % le niveau de qualité de vie que j’avais avant les évènements. Les 5 % qui restent sont des souvenirs que j’ai appris à apprivoiser.»

S’il se dit heureux du développement de nouveaux traitements, Pierre a des réserves. « J’y crois, mais j’ai mes inquiétudes ; cela ressemble un peu trop au film “Total Recall”. Le cerveau humain est un territoire inconnu, et certains croient qu’ils peuvent maîtriser toutes les réactions face à différents stimuli.»