Quand appréciation artistique rime avec convictions politiques

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Par Charlotte Morand
lundi 16 décembre 2019
Quand appréciation artistique rime avec convictions politiques
La toile Coffee Thyme de l'artiste Sam Gilliam a servi de barême pour cette étude sociologique et pour le Vox populi.
La toile Coffee Thyme de l'artiste Sam Gilliam a servi de barême pour cette étude sociologique et pour le Vox populi.
Les groupes de réflexion Data for Progress et YouGov Blue ont cherché à déterminer, par l’intermédiaire d’un sondage mené en septembre dernier, la relation entre art, psychologie et idées politiques. Le directeur de la Chaire d’études politiques et économiques américaines (CÉPÉA) de l’UdeM, Pierre Martin, estime qu’il est possible de faire un lien entre les convictions politiques d’un individu et sa conception de l’art.

Quartier Libre (Q.L.) : Quel était le but de cette étude ?

Pierre Martin (P.M.) : Il y a quelques semaines, un sondage a été mené auprès des électeurs américains pour mesurer leur appréciation de la performance du président Trump. Les questions visaient à trouver différents types de déterminants, c’est-à-dire à entrevoir les caractéristiques de l’électorat que l’on peut associer aux prises de position. Il y avait toutes sortes de données sociodémographiques, comme le niveau de scolarisation, l’âge, le revenu, la profession, la région, le sexe. Ce sondage a ajouté une question qui n’avait pas de lien évident en apparence : on a montré ce tableau aux répondants et on leur a demandé : « Est-ce que vous considérez que c’est une œuvre d’art ? ». Les responsables du sondage se sont rendu compte que la réponse à cette question était la variable la plus étroitement associée aux degrés d’appui à Donald Trump.

Q.L. : Qu’est-ce que l’appréciation de cette œuvre d’art est censée nous dire sur les individus ?

P.M. : Elle implique une attitude fondamentale de la personne qui répond à la question face à une œuvre d’art conçue pour provoquer l’esprit. De façon générale, l’art abstrait n’est pas représentatif, et surtout dans ce cas-ci, car l’œuvre ressemble à ce que l’on pourrait facilement associer à un dessin d’enfant. Un individu relativement fermé à toute remise en question d’une vision très orthodoxe de ce qui représente l’art va dire que ce n’est pas de l’art. Le fait d’être capable de se positionner sur une représentation picturale, et de dire que c’est de l’art alors que ce n’est pas reconnu conventionnellement comme tel, c’est une démonstration d’ouverture d’esprit. Les psychologues appellent ça « l’ouverture à l’expérience ».

Q.L. : En quoi la réponse à cette question peut-elle être liée à l’affiliation politique ?

P.M. : L’ouverture à l’expérience est généralement associée à l’adoption d’une idéologie plus libérale, alors que les gens qui sont plus fermés à l’expérience, c’est-à-dire qui sont contraints par les conventions, ont tendance à prendre des positions politiques plus conservatrices. L’appréciation de l’art est essentiellement subjective. La question révèle vraiment une attitude de fond liée à la distinction entre conservateur et libéral, et aussi à la distinction entre deux types idéaux qui sont susceptibles d’être sympathiques à Donald Trump. La gauche se manifeste par un certain cosmopolisme, une ouverture à l’immigration ou une vision plus internationaliste de la place des États-Unis dans le monde. Ces traits sont caractéristiques d’une ouverture à l’expérience.

Q. L : Le sondage établit une corrélation entre l’appréciation de l’art et l’affiliation politique. Selon vous, quelles sont les implications pour la recherche ?

P.M. : Pour la recherche, il est toujours souhaitable de mieux comprendre le public, qui est à la base de mouvements politiques, surtout si l’on cherche à expliquer la polarisation que l’on retrouve dans nos sociétés aujourd’hui. Cette dimension de l’ouverture à l’expérience, préalable à la formation de tempérament et d’attitudes conservatrices, est une chose qu’il faut comprendre du point de vue plus fondamental de la recherche. C’est également une recherche qui peut être appliquée par ceux qui s’intéressent à l’action politique, parce que ça leur permet de mieux saisir où l’on peut trouver le public le plus réceptif aux messages que l’on veut émettre.

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