Psychopathes à cravate

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Par Mathieu Mireault
mardi 19 avril 2011
Psychopathes à cravate
Christian Bale dans American Psycho
Christian Bale dans American Psycho

Hannibal Lecter, Jason Voorhees et Lex Luthor. Tous des assassins, des psychopathes qui font le mal pour le plaisir. Mais la réalité est bien plus effrayante. Votre patron, la personne qui détermine l’allocation des bourses de recherches ou votre directeur de maîtrise pourraient eux aussi être des psychopathes selon une étude de l’Université de Colombie-Britannique.

Tous les psychopathes ne sont pas dangereux pour votre vie. Il y aurait près de 70000 psychopathes au Québec, soit 1 % de la population. Si seulement 10 % d’entre eux sont assez violents pour se retrouver en prison, les autres vivent en société. Il est plutôt probable de rencontrer au moins un psychopathe par jour. S’il est possible de le croiser au supermarché, il est encore plus probable de le croiser à la direction des ressources humaines de votre entreprise.

Environ 3,5 % de psychopathes travaillent comme cadres supérieurs. Il y en aurait donc plus du triple qu’en société. Robert Hare, professeur de psychologie de l’Université de Colombie-Britannique, a obtenu ces résultats en questionnant 200 cadres supérieurs en Colombie-Britannique. À l’aide d’une échelle qu’il a conçue lui-même, la Psychopathe Checklist Screening Version, il a constaté qu’un nombre considérable de participants dépassaient le seuil déterminant pour être considéré comme psychopathe.

Attraction pour l’argent et le pouvoir

Pourquoi y a-t-il plus de psychopathes chez les cadres supérieurs que dans la population en général ? «Les psychopathes ont une attraction pour l’argent et le pouvoir. C’est pour cela qu’ils tenteront d’obtenir des emplois payants qui leur permettent d’avoir le contrôle sur des employés subordonnés », soutient Luc Brunet, professeur de psychologie à l’UdeM.

Les psychopathes veulent rapidement progresser dans une entreprise. Selon M. Brunet, «ils approchent souvent des entreprises en phase de changement ou de reconstruction. De cette manière, ils peuvent plus facilement obtenir des postes élevés sans toutefois devoir passer par divers échelons dans l’entreprise ».

Angelo Soares, professeur de psychologie à l’UQAM, est du même avis : «dans les entreprises en période de changement, les règlements et les normes sont moins bien définis. C’est plus flou. Les caractéristiques propres aux psychopathes fleurissent dans un tel environnement».

L’entreprise rendrait psychopathe

M. Soares soutient toutefois que les chiffres de M. Hare démontrent plutôt un problème lié aux valeurs promues dans le milieu de travail.

«S’il semble y avoir plus de psychopathes dans le milieu de travail, c’est parce qu’il existe une culture de travail qui catalyse des comportements propres aux psychopathes chez des individus normaux. Par exemple, il n’est pas rare de voir quelqu’un mentir ou manipuler son entourage au travail alors qu’il se sentirait incapable de le faire à l’extérieur du bureau», dit Angelo Soares.

M. Soares ajoute que «les valeurs promues par plusieurs entreprises sont le manque d’empathie et la compétition. Pour qu’un individu progresse dans l’entreprise, il doit adopter ces valeurs. Il devient en quelque sorte un psychopathe au bureau, mais un individu normal à l’extérieur. Pour conclure qu’il y plus de psychopathes chez les cadres supérieurs que dans la société en général, il faut déterminer si ces employés étaient psychopathes avant de travailler comme cadres.»

Christopher Earls, professeur de psychologie à l’UdeM, soutient lui aussi qu’un environnement compétitif exacerbe les traits caractéristiques des psychopathes. « Prenez par exemple l’émission Survivor. Presque tous les participants se manipulent et se mentent entre eux pour être le grand gagnant au détriment des sentiments des autres», dit M. Earls.

Conséquence réelle

Les conséquences relatives aux comportements de psychopathes sont palpables. M. Brunet dit que les effets négatifs occasionnés par la présence d’un psychopathe en milieu de travail s’apparentent à ceux du harcèlement psychologique, qu’ils peuvent, bien sûr, pratiquer. «Les collègues de travail d’un psychopathe seront démotivés, déprimés et demanderont plus de congés de maladie par exemple », liste le spécialiste de la psychologie du travail.

M. Brunet croit qu’une meilleure sélection doit être faite avant d’engager des cadres supérieurs: «Des tests validés doivent être conduits par des professionnels avant l’embauche».

De son côté, M. Soares croit plutôt que c’est la culture d’entreprise qu’il faut modifier. «Si les entreprises continuent de favoriser une philosophie de “produire plus avec moins” avec le surplus de travail et la compétition qui en découlent, on peut s’attendre à voir de plus en plus de comportements propres aux psychopathes dans le milieu de travail », explique Angelo Soares.

 

Qu’ils soient psychopathes avant d’entrer en entreprise ou après avoir gravi les échelons hiérarchiques en écrasant leurs collègues de travail, ils sont là. Ils existent. Ils vous regardent. Sentez-vous leur regard peser sur votre nuque?

Psychopathe

 

Selon la version la plus récente du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, les psychopathes souffrent de trouble de la personnalité antisociale. Leur condition est caractérisée par le manque d’empathie, l’amoralité, leur conduite antisociale et l’absence de culpabilité. Le psychopathe a sa propre vision du bien et du mal.

 

«Pour être considéré comme psychopathe, il faut être diagnostiqué par un professionnel clinique avec un questionnaire validé», soutient Christopher Earls, professeur de psychologie à l’UdeM. Le questionnaire le plus utilisé est le Hare Psychopathy Checklist. Ce questionnaire de 20 questions mesure entre autres la tendance à mentir de manière pathologique, le manque de culpabilité et le caractère manipulateur d’un individu.