Des poupées recouvertes de lainage multicolore tapissent les murs. Une reproduction d’un tableau de Molinari est transpercée par un vaisseau spatial et une bombe de crayons de couleur. Des pieuvres en tissu tombent du plafond. À l’occasion de l’exposition Decembryon, qui se poursuit jusqu’au 30 décembre, les murs de la galerie Usine 106U, située dans le Plateau- Mont-Royal, sont pris d’assaut par les innombrables oeuvres d’art d’une trentaine d’artistes.
Éric Braun, artiste et gérant de la galerie, se donne pour mission de sortir des sentiers battus. «Decembryon, c’est un jeu de mots – peut-être un peu douteux – entre décembre et embryon. C’est la fin d’un cycle, mais aussi le début d’un autre. C’est plein d’espoir», explique-t-il. Les styles sont variés, allant de la gravure érotique aux bijoux faits de pièces d’anciens transistors.
Beaucoup de trash mais aussi de créations enfantines, comme des oeuvres à inspiration manga ou cette énorme peluche de l’artiste Mimi Traillette accrochée au plafond, la Truite préhistorique poilue. Avides de magie et de surréalisme, les artistes Scott Ferry et Ammut Aisilinn, un couple venu des États- Unis, s’inspirent de leurs rêves de mythologie égyptienne pour produire leurs tableaux.
«Mon imagination est sauvage, je suis quelqu’un de visuel. Chacune des couleurs veut dire quelque chose: des sentiments, des émotion . Mon travail est hallucinogène, fluorescent, psychédélique», explique Scott Ferry.
«Ce sont des gens qui ne trouvent pas leur place ailleurs, qui ont une expression forte», dit Éric Braün expliquant ce qui rassemble tous ces artistes. Dans certaines toiles, c’est carrément hurlant. «C’est Dumbo en train de s’en donner à coeur joie avec Marine Le Pen attachée sur sa bedaine», décrit Xavier Landry, qui pose à côté de «son dernier bébé», intitulé Le Cadeau gras. Sa démarche artistique est «une critique illustrative de la société», expliquet- il. Eric Braün confirme que la censure n’est pas une pratique de l’Usine 106U. «Une forme d’expression pertinente, même si elle est extrême, a sa place. C’est la liberté d’expression, assure-t-il. Il y a une ligne que je ne franchis pas, mais ça va très loin. Si ça tombe dans la pédophilie ou dans le racisme, là, je dis non.» Adeline Lamarre aimerait que sa démarche artistique soit au service de la société. Sa dernière réalisation, La quête, un autoportrait, illustre bien cette aspiration à la solidarité.
«C’est fait sur une toile récupérée et ça me représente en itinérante, avec mon linge d’hiver, décrit-elle. La palette de couleurs était ma principale motivation pour créer cette toile. Je voulais utiliser des couleurs froides pour suggérer la solitude, l’isolement, et la froideur. J’ai commencé cette toile l’hiver passé, mais je n’ai pas voulu la travailler pendant l’été, je voulais qu’il fasse froid pour mieux m’immerger dans l’esprit. » Une représentation de l’itinérance lourde de sens pour la peintre qui remettra 10 % de la vente de cette toile à Dans la rue, un organisme qui vient en aide aux jeunes sans-abri. «Ça représente bien ma situation en art visuel, confiet- elle. Ce n’est pas facile, on a vraiment de la misère. Ma quête en tant qu’artiste, c’est de vendre mes oeuvres, et me représenter en tant qu’itinérante, c’est un peu comme si j’en étais rendue à quêter pour vendre mes toiles.»
Chemins divers
Éclectiques, les artistes qui exposent ont chacun leur bagage. Entre deux cours de théâtre de marionnettes à l’UQAM, Marie-Noëlle Wurm présente Winter Bloom, une toile tortueuse mais colorée. «C’est une oeuvre assez personnelle, dit-elle. Ça représente le chemin de l’inconscient, le bagage, l’histoire que l’on cache aux autres. Je voulais montrer la beauté, mais aussi l’angoisse de ces sentiment .
J’ai commencé à écrire une histoire associée au personnage de cette toile. » Brigitte Archambault, pour sa part, crée des bijoux faits de matériaux de récupération comme son collier Phytoplancton. En congé sabbatique, elle enseigne les sciences à l’école secondaire. Il y a aussi Jean-Michel Cholette, qui fait partie de l’aventure Usine 106U depuis les débuts. Il nous montre une reproduction de son oeuvre dans les toilettes : un portrait d’Aleister Crowley, un auteur occultiste du début du dix-neuvième siècle. « C’est mon écrivain préféré, j’aime son élégance anglaise, raconte-t-il. Il parle beaucoup du troisième oeil, de la vision unificatrice. C’est un auteur intéressant, très poétique. Il a aussi écrit des romans de pornographie assez hardcore pour l’époque.» Alors que la période des carillons et des guirlandes de Noël bat son plein, Decembryon est un bastion de la provocation et de l’ironie.
«C’est ce que j’attends d’une galerie, ce n’est pas conventionnel», conclut Steve, qui visite les lieux pour la première fois.
L’usine 106U, repaire éclaté
Chaque mois, les toiles changent pour permettre aux artistes d’exposer dans un délai plus court que celui des galeries traditionnelles. Eric Braün, le gérant, explique qu’il a ouvert la galerie il y a cinq ans en réaction au « refus total et obstiné » des galeries montréalaises devant des oeuvres à contrecourant provenant de jeunes talents émergents.
«Fuck you, si vous ne voulez pas le faire, je vais le faire moi-même !» lance-t-il.