Je commence normalement mes messages en me présentant, mais pas ici. Je t’avoue que je ne me sens pas très à l’aise à l’idée de me dévoiler en entier, alors appelle-moi donc Rick. Je t’écris pour te faire part d’un problème qui me pèse sur le coeur. Je n’ai pas osé en parler à qui que ce soit jusqu’à présent, mais la personnalité de Rick me drapant aujourd’hui comme la plus épatante des couvertures, je sens un souffle nouveau me pousser vers le bon sens. Voici mon problème. Lorsque je prends un certain chemin X pour aller à l’université, je passe devant une certaine maison Y où, je sais, réside une certaine personne Z. Quand je passe devant la maison en question, je vois entre les rideaux de la fenêtre un beau visage d’homme d’âge moyen qui m’observe. La première fois, j’ai cru à un heureux hasard, mais cela s’est produit à plusieurs reprises. Hier, quand j’ai croisé son fabuleux regard noir, j’ai tout de suite senti qu’il avait une flamme de feu pour moi. Je m’adresse à toi, car tu sais bien – toi, Gina qui connaît si bien les coeurs et leurs valvules – que bien des hommes ne se décident jamais à faire le premier pas. J’hésite donc. Dois-je lui parler ? Devrais-je plutôt attendre qu’il m’aborde? Sera-t-il effrayé par mon cruel monosourcil? Pourrait-il être l’élu de mon coeur ? Merci au cas où tu répondrais ! riCK
Cher Rick,
Un regard entre des rideaux, ça ne ment pas. Mais plusieurs regards entre les rideaux, c’est du béton. Il faut solidifier vos débuts, c’est tout. Plusieurs options s’offrent à toi. Ne compte pas sur lui pour faire les premiers pas, fonce plutôt. Adopte la méthode directe. La prochaine fois que ses prunelles embrasées croiseront les tiennes, précipite- toi – nu ou pas – à la fenêtre, puis tape dessus vigoureusement. Je te conseille d’accompagner ton geste d’un sourire lan – gou reux et séduisant. Ne le brusque pas en essayant de faire un rythme dans les carreaux. Cogne simplement avec assurance. Le stratagème permettra à Z de noter que tu es spontané, audacieux et, surtout, souriant. Par la suite, dirige-toi soit vers la porte (s’il semble vouloir t’ouvrir), soit vers la fenêtre (s’il est enclin à te laisser rentrer chez lui de façon peu traditionnelle). J’ai bon espoir qu’une petite excuse (demander une tasse de farine, faire semblant d’être un nouveau voisin, proposer un lavage de vitre) te permettra de faire habilement ton entrée chez l’homme pour mieux t’y incruster, puis faire dévier la conversation vers un sympathique souper aux chandelles. Et le tour sera joué. Ne t’inquiète pas. Je n’oublie pas ton petit problème pileux. Encore une fois, lorsqu’il y a un problème, Gina le résout. As-tu pensé à mettre une cagoule ? C’est l’hiver. Il n’y verra donc que du feu avec son regard de flamme. Sinon, tu peux aussi disposer une série de bindis (bijoux indiens) sur la partie centrale de ton sourcil et expliquer que tu reviens d’une cérémonie hindouiste. Donne-moi des nouvelles de ton prochain matin. Je te souhaite une rencontre à la hauteur de ce regard enflammé.
Gina Caretta/Charlotte Biron
courrierducoeur@quartierlibre.ca