Dans le carnet de notes de notre société, l’onglet «choses à privatiser» comporte une liste fort exhaustive dans tout ce qu’elle implique : éducation, santé,
centres de survie pour aînés (mouroirs aseptisés), et pourquoi pas Postes Canada et la Société des alcools du Québec (SAQ).
Sans vouloir abuser de formules usées, rappelons que la privatisation soulève les passions depuis plusieurs années. Philosophes et sociologues de gauche s’y opposent sur la base d’arguments datant de la nuit des temps, économistes et capitalistes de droite en font la promotion avec maintes promesses impliquant plein d’argent (léger cliché assumé).
Rappelons brièvement, pour illustrer ces propos, le débat concernant la privatisation de la SAQ. Québec Solidaire, un parti de gauche, croit fermement que la SAQ doit demeurer un monopole d’état sous prétexte qu’elle remplit un rôle d’éducation populaire via Éduc’alcool, qu’elle assure la qualité des spiritueux et qu’elle refrène le nombre de cas de gastrite éthylique. L’ADQ, un parti qui se plaît beaucoup plus à droite de l’échiquier politique, a déjà plaidé en faveur d’une privatisation graduelle de la SAQ, arguant que le gouvernement pourrait utiliser les profits générés par sa vente pour compenser
les pertes du Régime des rentes du Québec (RRQ).
Ce genre de débat est fabuleux, pour deux raisons. Tout d’abord, sa pérennité nous rappelle que tout n’est pas éphémère. Ensuite, il est fondamentalement
humain. Sa nature ressemble vraiment à n’importe quel conflit d’idées entre, par exemple, un quidam radicalement intuitif et un autre intrinsèquement rationnel. Ce genre de désaccord est insoluble, essentiellement parce que l’un ne parle jamais vraiment de la même chose que l’autre, et vice-versa.
La question à laquelle je n’avais pas envie de répondre dans cet édito était la suivante : « Privatiser ou ne pas privatiser l’université? » J’ai alors songé, tout en nuance, à cette variante : «Privatiser ou ne pas privatiser le savoir ? » Mais ça n’allait toujours pas. «Réduire ou favoriser l’accessibilité à l’université ? S’endetter ou étudier ? S’enrichir ou apprendre ? Ne pas être ou être ?» Je dérivais : l’émotion m’étranglait.
Faut-il rendre une institution publique telle que l’université plus ouverte à l’esprit d’entreprise privée et y importer méthodes de gestion et valeurs entrepreneuriales ? La logique de profit et de compétition a-t-elle vraiment quelque chose à faire ici ? Faut-il apprendre aux chercheurs quelques stratégies vestimentaires et de relations publiques, d’autres concernant la distribution de cartes de visite afin de mieux les exporter vers le domaine privé ? Faut-il laisser le secteur privé participer à la gestion de l’enseignement public ? L’irréductible souci d’efficacité nous mène-t-il vers un enseignement
supérieur de meilleure qualité ?
À me tordre un peu l’esprit, j’arrive presque à me convaincre que oui, mais pas vraiment.
Comme la majorité des autres pays de l’OCDE, le Canada est en plein processus de privatisation: retrait progressif de l’État du financement de l’éducation supérieure, déresponsabilisation sociale en ce qui concerne l’éducation collective, hausse des droits de scolarité et des frais afférents, subtile privatisation par la bande en éducation. On semble s’éloigner d’une égalité d’accès à l’éducation favorisant la mobilité sociale sur la base de mérite et d’ambition intellectuels, mais à y regarder de plus près, ce n’est même plus la question de l’accessibilité au savoir qui se pose mais plutôt celle de la place attribuée au savoir dans notre échelle de valeurs.
J’oserais me hasarder à affirmer qu’un haut niveau global d’éducation dans la société enrichit la vie civile et économique, mais depuis l’avènement du marché mondial des cerveaux et ses implications dans le secteur de l’éducation, je ne sais plus trop ce que le gouvernement entend par société. Il semble exister une certaine confusion entre marché et société.
À me retordre un peu les idées, je me dis qu’on devrait peut-être penser à mettre tous nos oeufs dans le même panier : privatiser l’université, utiliser
les profits engrangés pour compenser les pertes d’un régime de rentes qui devrait lui aussi appartenir à une entreprise privée et enfin se faire soigner les idéaux de société dans quelque centre de santé privé. Devenir, définitivement, des clients à part entière. Enfin, passer à autre chose.
Une fois cela réalisé, quoi d’autre serait-il possible de privatiser ?
Je proposerais le droit de vote, le sexe et les toilettes publiques, parce que franchement, tout cela est parfois très mal géré.