Société

Le gouvernement provincial ainsi que la FAÉCUM priorisent les étudiant·e·s encore aux études quant à l’allègement de la dette étudiante. (Crédit : Juliette Diallo)

Prêts étudiants : Québec maintient sa voie

Les diplômé·e·s du Québec devront faire avec une hausse fulgurante du taux d’intérêt sur leurs prêts étudiant, alors que le reste du Canada en a annulé le remboursement.

« Ce n’est pas dans notre intention d’aller de l’avant avec une annulation des taux d’intérêt », confirme le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, en entrevue avec Quartier Libre.

Le 1 er avril 2023, le gouvernement Trudeau a pris la décision d’annuler le taux d’intérêt sur les prêts étudiants à l’échelle nationale. Le Québec fait exception, car la province administre elle-même son propre programme de prêts et bourses, l’Aide financière aux études (AFE), indépendamment du palier fédéral. Le gouvernement Legault a ainsi décidé de maintenir le taux d’intérêt sur les sommes, calculé sur le taux préférentiel de la Banque du Canada, plus 0,50 point de pourcentage. Le taux d’intérêt provincial n’a cessé d’augmenter : alors qu’il était de 2,5 % en 2022, il atteint désormais 7,7 %.

En contexte d’inflation et de hausse des taux de la Banque du Canada, l’annulation par Ottawa touche 1,7 million d’étudiant·e·s et de nouveaux·elles diplômé·e·s canadien·ne·s, pour un coût de 2,7 milliards de dollars sur une période de cinq ans.

Fardeau fiscal

« La montée des taux d’intérêt m’inquiète, car payer ces intérêts plus tard ne sera pas pratique », témoigne l’étudiante de deuxième année au programme de kinésiologie Iman.

Le porte-parole du ministère de l’Enseignement supérieur soutient toutefois que la question de l’endettement étudiant ne se limite pas aux prêts et bourses. « Le fait que les droits de scolarité [au Québec] soient les plus bas du pays fait en sorte qu’il y ait moins d’endettement », avance-t-il.

Il n’empêche que la présidente de l’Union étudiante du Québec (UEQ), Catherine Bibeau-Lorrain, rapporte qu’un nombre important d’étudiant·e·s sollicitent l’aide de l’association chaque année pour obtenir une aide financière aux études. « De nombreux étudiants vont voir les associations sur les campus pour faire part de leurs préoccupations », déplore-t-elle.

Son homologue au sein de Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (FAÉCUM), le secrétaire général Alecsandre Sauvé-Lacoursière, partage son propos. « On a quand même des personnes qui viennent nous voir pour des difficultés financières, souligne-t-il. [Les étudiants] peuvent avoir des ententes avec l’Université de Montréal pour des paiements de frais de scolarité différés et de l’aide financière d’urgence. »

Il invite les étudiant·e·s dans le besoin à se tourner vers les Services à la vie étudiante de l’UdeM, qui disposent d’un service de ressources socio-économiques traitant les demandes liées à l’aide financière et aux bourses d’études. Ce service gère aussi les programmes études- travail, pour offrir des emplois à temps partiel sur le campus.

Les diplômées du Québec commenceront à rembourser leurs prêts après un délai de grâce de six mois suivant la fin de leurs études. (Crédit : Alizée Royer)

Transfert fédéral

La question des transferts fédéraux envers le Québec traverse le débat quant au maintien du taux d’intérêt. L’opposition reproche à Québec de ne pas avoir alloué l’intégralité des 940 millions de dollars au programme d’aide financière aux études.

« Il est très difficile de tracer cet argent, parce que tous les transferts fédéraux passent d’abord par le ministère des Finances, avant d’être redistribués », explique le porte-parole du ministère de l’Enseignement supérieur.

Le gouvernement du Québec reçoit de tels transferts d’Ottawa, car il ne bénéficie pas du programme canadien de prêts et bourses aux étudiants, ciblé par l’annulation du taux d’intérêt. Cette enveloppe de 940 millions de dollars représente une hausse des transferts de la capitale fédérale envers la province.

L’UEQ a lancé une pétition sur la question, parrainée par la députée libérale et porte-parole de l’opposition en matière d’enseignement supérieur, Marwah Rizqy. Elle demande de « réduire le capital de ces prêts tout en bonifiant l’AFE grâce au transfert fédéral de 940 millions de dollars » et exige une explication de Québec quant à l’utilisation de l’enveloppe.

« Le mouvement étudiant a été consulté par le gouvernement pour savoir quoi faire avec l’argent provenant des transferts fédéraux, précise le secrétaire général de la FAÉCUM. Une décision a été prise [de conseiller le gouvernement] d’investir l’argent dans la population la plus vulnérable, c’est-à-dire la population qui est aux études présentement. »

Mme Déry a annoncé en juillet dernier un financement supplémentaire de 140 millions de dollars par an, destiné surtout aux parents-étudiant·e·s. Ce montant servira aussi à indexer le taux d’intérêt à 6,44 % pour certains programmes de l’AFE.

Si le Parti libéral du Québec (PLQ) soutient la pleine annulation du taux d’intérêt sur les prêts aux études postsecondaires, le Parti Québécois (PQ) abonde dans le même sens. « Pris entre la difficulté d’accéder à la propriété et l’inflation galopante dans tous les secteurs, les jeunes sont très préoccupés par l’augmentation soudaine du taux d’intérêt des prêts et bourses », explique le chef du parti, Paul St-Pierre Plamondon, par voie de communiqué.

« Nous investissons massivement dans l’enseignement supérieur et l’accessibilité avec tout ce que nous faisons », affirme de son côté le cabinet du ministère de l’Enseignement supérieur, qui ajoute que les montants alloués par le Québec « dépassent largement le montant qu’il reçoit du fédéral. »

Sur le long terme

Le professeur à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP) Pier-André Bouchard St-Amant doute que l’annulation du taux d’intérêt serve durablement à la population diplômée. « Si on veut aider les étudiants à réduire la charge de l’endettement, réduisons l’endettement à la source », propose-t-il.

Il suggère ainsi que la partie « bourses » d’une demande d’aide aux études soit plus élevée, plutôt que de procéder à la réduction du taux d’intérêt sur la partie « prêts » à rembourser.

Selon lui, une telle mesure aurait un impact plus significatif sur le choix d’études et inciterait plus de monde à poursuivre des études supérieures. « Il y a un lien causal très clair, même s’il n’est pas très grand », précise-t-il. Cette démarche fournirait aussi de l’argent aux personnes qui en ont le plus besoin.

Bouchard St-Amant rappelle que le gouvernement provincial n’est pas celui qui prête l’argent, il se porte plutôt comme garant des prêts en cas de défaut de paiement. Le Québec subventionne les banques en payant les taux d’intérêt imposés par les banques aux étudiant·e·s.

Quant au transfert fédéral de 940 millions de dollars, le chercheur à l’ÉNAP déclare que la province « a l’entière liberté de dépenser l’argent pour ces programmes » et « d’utiliser les fonds à d’autres fins ».

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