Pour apprendre la médecine dentaire

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Par Anja Conton et Mohammed Aziz Mestiri
jeudi 7 décembre 2023
Pour apprendre la médecine dentaire
Le métier de dentiste est une profession d’exercice exclusif. Toute personne doit obligatoirement détenir un permis de l’Ordre des dentistes du Québec (ODQ). - Crédit: Emily Junca
Le métier de dentiste est une profession d’exercice exclusif. Toute personne doit obligatoirement détenir un permis de l’Ordre des dentistes du Québec (ODQ). - Crédit: Emily Junca
Près de 40 000 $ sont nécessaires, en plus des frais de scolarité réguliers, pour se former en médecine dentaire à l’UdeM. Pour cause : les étudiant·e·s doivent obligatoirement acheter les instruments cliniques de leur futur métier.
« Si les étudiants entretiennent bien leurs outils et instruments, leur durée de vie est de plusieurs années, sinon d’une décennie. »
Geneviève O’Meara - Porte-parole de l’Université de Montréal

Dès la première année d’études, les élèves apprennent le maniement des outils en laboratoire de simulation, mais aussi en milieu clinique auprès de patient·e·s. Sur environ 40 000 $, la Faculté de médecine dentaire préconise sur son site Internet qu’en allouer « environ 14 000 $ dès l’entrée dans le programme » est à prévoir.

Plus précisément, une trousse complète d’outils coûte actuellement 37 353 $. L’aspirant·e dentiste s’acquitte de ce montant au cours des quatre premières années de son cheminement, déboursant dans l’ordre 10 047 $, 9 877 $, 10 198 $, puis 7 231 $. L’étudiant·e se procure ainsi progressivement les outils de son futur métier selon les étapes de son cursus. La procédure permet aussi d’amortir le paiement sur quatre ans. Bien que le programme soit de premier cycle, il n’est pas un baccalauréat, mais plutôt un doctorat. Il totalise 219 crédits et se termine en cinq ans dans le cadre d’un régime d’études à temps plein.

« Le kit d’instruments comprend des outils que les cliniques ne possèdent pas et qu’on garde après qu’on gradue, explique l’étudiant de cinquième année au programme Simon Lefebvre. On n’a juste pas le choix de payer, parce que sinon, on ne peut pas traiter nos patients. »

Le coût des accessoires occupe une place prépondérante au sein du cursus, si bien que l’Association des étudiants en médecine dentaire (AÉMDUM) désigne des « co-responsables des instruments ». Un rôle qu’occupe Simon avec son homologue Jessica Grégoire, elle aussi en cinquième et dernière année d’études.

Économies d’échelle

La fonction de ces deux responsables consiste notamment à faire le relais entre les membres de l’association et la Faculté de médecine dentaire. Le duo surveille régulièrement les listes d’instruments de l’équipement obligatoire. Leur but, rencontrer le corps professoral et y proposer des ajustements, en vue de la révision annuelle effectuée chaque hiver.

« On essaye de raccourcir le plus possible la liste de matériel pour chaque cohorte, s’il y a des choses qu’on n’utilise pas ou qu’on veut changer », précise Jessica.

Simon soutient que sa collègue et lui connaissent bien les instruments grâce au temps qu’ils ont passé dans le programme. Négocier le retrait d’un produit de l’équipement réduit le total pour l’année suivante, mais « ce sont toujours les professeurs qui ont le dernier mot », souligne le finissant. Des ajouts peuvent également se faire en fonction des objectifs pédagogiques et sont l’une des raisons qui ont fait passer la facture de la trousse à 37 353 $, alors que durant l’année scolaire 2016-2017, elle valait 33 000 $.

La Faculté transmet la liste élaborée au magasin dentaire du service d’approvisionnement de l’Université. Celui-ci soumet ensuite un appel d’offres sur le marché, pour recevoir des propositions commerciales de la part des fournisseurs et ainsi choisir celle dont le prix est le plus attrayant. « On s’assure de faire les bons achats, au juste prix, en fonction de la qualité souhaitée des instruments qu’on veut acquérir », souligne par voie de courriel la porte-parole de l’Université, Geneviève O’Meara. Elle soutient que la méthode de la Faculté de médecine dentaire et du magasin octroie des prix avantageux, grâce à des économies d’échelle importantes. « Si les étudiants entretiennent bien leurs outils et instruments, leur durée de vie est de plusieurs années, sinon d’une décennie », ajoute-t-elle.

Simon abonde dans le même sens. « Ça coûte cher, car de toute façon, les instruments dentaires, c’est cher en général, reconnaît-il. Mais ça coûterait certainement plus s’il n’y avait pas d’appels d’offres. »

Libre entreprise

En plus du tarif des outils, le doctorat de premier cycle s’accompagne d’une facture plus élevée qu’un baccalauréat, simplement parce qu’il comporte plus du double de crédits.

Sans compter les autres frais exigibles, le Bureau du registraire de l’UdeM évalue un trimestre de 15 crédits de cours à 1 440 $ pour les Québécois·e·s et les résident·e·s permanent·e·s du Québec. Pour les citoyen·ne·s canadien·ne·s non-résident·e·s de la province, les droits de scolarité sont de 4 495 $. Ce sont les seules catégories d’étudiant·e·s admissibles au programme, les candidat·e·s étranger·ère·s avec un permis d’études étant exclu·e·s.

Ainsi, si un baccalauréat de 90 crédits revient à un total de 8 640 $, le doctorat en médecine dentaire, lui, coûte près de 21 000 $. La facture est plus élevée pour les citoyen·ne·s canadien·ne·s non-résident·e·s, s’élevant à prés de 73 000 $.

Se procurer de l’équipement qui n’est pas inclus dans la trousse d’une année sur l’autre, tel que des gants et des masques jetables, est également nécessaire. Simon estime que ces dépenses peuvent « facilement » s’élever à 1 000 $ par année. Jessica ajoute qu’en deuxième et en troisième année, le total monte à 3 000 $.

 

Dans leur demande d’admission, les candidat·e·s au doctorat de premier cycle en médecine dentaire doivent aussi soumettre les résultats d’un examen CASPer, qui évalue, entre autres, leur professionnalisme et leur sens éthique. – Crédit: Juliette Diallo

 

Autre source de dépenses : les loupes. Leur prix varie entre 3 000 $ et 4 000 $ et elles ne sont pas comprises dans la trousse. Pour celles-ci, l’étudiant·e procède seul·e à la sélection de ses lentilles sur le marché. Les deux responsables des instruments organisent à ce titre un symposium annuel des loupes pour guider leurs camarades, surtout de première année, dans le choix de l’équipement optique. « Il y a certains étudiants qui sont chanceux et qui ont, admettons, deux parents médecins qui peuvent tout payer », mentionne Simon. Si ce n’est pas le cas, une autre piste pour obtenir des capitaux existe : tous les étudiant·e·s admis·e·s en médecine dentaire sont admissibles à une marge de crédit bancaire entre 250 000 $ et 300 000 $. « Pour la majorité du monde, on n’a juste pas le choix de l’utiliser », affirme Simon.

Jessica considère aussi que ce financement profite grandement à la population étudiante et rend le programme de médecine dentaire accessible malgré la barrière financière. « On dispose de pas mal de temps pour rembourser la somme, estime-t-elle. Généralement, les étudiants nous disent que ça se rembourse quand même bien. »

L’importance du prêt est toutefois à double tranchant. Dans un article publié en juin dernier, la journaliste à La Presse Stéphanie Bérubé a fait état de cas d’étudiant·e·s en soins dentaires et en médecine qui n’ont pas géré avec retenue l’afflux d’argent permis grâce à cette marge de crédit, et qui ont ainsi cumulé des dettes jusqu’à la faillite.

« Nous sensibilisons nos étudiants aux dangers du crédit à outrance », précise Mme O’Meara. La prévention est telle que le cursus en médecine dentaire comporte un cours obligatoire sur les finances. Un conférencier, dentiste de profession, y explique les pièges des marges de crédits, « dans l’espoir de contrecarrer le discours des banques qui ne laissent parfois miroiter que les bons côtés ». Il y détaille aussi les dépenses à effectuer au cours des premières années de pratique. Le programme de doctorat de premier cycle en médecine dentaire cite « l’esprit d’entreprise » comme l’un des objectifs de formation.