Est-ce possible de se faire une omelette avec des champignons cueillis sur le campus de l’UdeM? Oui. Récit d’une balade mycologique avec un spécialiste, Jean Després.
Jean Després nous rejoint, le photographe Pascal Dumont et moi, devant le pavillon J.-A.-DeSève, un vendredi après-midi de septembre. Il fait humide, le temps est gris. Barbe blanche, yeux rieurs, Jean Després accepte de partir avec nous à la découverte des champignons sur le campus de l’UdeM.
Après quelques pas dans la côte boisée située à l’est du métro Université-de-Montréal, nous remarquons des champignons sur un tronc renversé. «Ce sont des polypores des artistes. Vieux, très vieux. Quelques années au moins», analyse rapidement M. Després. Est-ce comestible ? «Non. C’est dur comme du bois.»
Nous montons toujours, et les champignons se laissent désirer. Sommes-nous dans la bonne période de l’année ? « Nous vivons, en ce moment, la pire année de sécheresse en 25 ans. Entre le 15 août et le 15 octobre, c’est la saison des champignons. Il devrait y en avoir partout. Mais tout n’est pas perdu. Il suffirait d’une pluie de 50 mm pour que les champignons poussent.» Ça prend un choc : un choc hydrique, comme une bonne pluie, et un choc thermique, comme les variations de chaud et de froid à l’automne.
Jean Després en profite pour nous instruire. «Dans les années 1960, les champignons étaient considérés comme des plantes manquées, comme des plantes qui auraient perdu la faculté de faire de la photosynthèse. On sait maintenant que c’est faux. » Les champignons sont comme des estomacs inversés.
Ils sécrètent des enzymes qui digèrent l’extérieur. «Les arbres et les champignons sont partenaires. Les champignons ne peuvent pas exister sans leur hôte. Un arbre sans son partenaire symbiotique ne croîtrait jamais autant.»
«Chaque espèce d’arbre possède son champignon, poursuit-il. Par exemple, pour les chênes, les champignons sont visibles à l’oeil nu. Pour l’érable, ce sont des champignons microscopiques.» Voilà pourquoi il faut garder l’oeil ouvert sur les chênes, les hêtres et les sapins. Anecdote : il est très rare qu’un champignon s’attaque au bois du cèdre. « C’est pourquoi un coffre en cèdre a une durée dix fois plus longue qu’un coffre en une autre essence de bois.»
Nous arrivons à proximité de Polytechnique. Aucun champignon comestible pour l’instant…
Est-ce que le parc du Mont-Royal est une meilleure place pour chasser les champignons ? « Non. L’endroit le plus proche de Montréal propice à la cueillette est le Parc régional de Longueuil.» Un peu dépités, nous décidons de redescendre la côte.
Soudain, notre photographe pointe, à une dizaine de mètres, une tache jaune sur un arbre. Nous nous approchons. Le champignon doit faire 40 cm de haut sur 20 cm de large. Boursouflé, sa couleur varie du jaune à l’orange vif, et il pousse sur un tronc d’arbre.
«Ah! C’est un polypore soufré, explique M. Després en s’agenouillant. C’est un parasite du chêne. Il vient de sortir. Il n’a même pas une semaine.» Est-ce comestible ? «Oui.»
Victoire !
«Il faut bien le laver. Les Américains le surnomment d’ailleurs le poulet des bois. Ce qui est bien avec ce champignon, c’est qu’on ne peut pas le confondre avec un autre.» Jean Després sort un couteau de sa poche et coupe des morceaux. Les extrémités sont meilleures, car plus tendres. Jean Després me passe le couteau, et je remplis un sac de gros morceaux.
Le soir même, les morceaux de polypores soufrés dans l’omelette ont la saveur du poulet, avec un parfum de champignon. Le campus n’a jamais goûté aussi bon.