Dans le cadre de la Commission Charbonneau, deux anciens ingénieurs de la Ville de Montréal ont admis avoir accepté des pots-de-vin. Tous deux sont diplômés de l’École polytechnique. Autant les professeurs que les étudiants de Polytechnique expriment leur réprobation face à ces révélations et mettent en avant la primauté de l’éthique en ingénierie.
Témoignant face à l’honorable France Charbonneau cet automne, les ingénieurs à la retraite Gilles Surprenant et Luc Leclerc ont avoué avoir reçu des sommes d’argent de la part d’entrepreneurs en construction. Pour gonfler le prix estimé des travaux publics à Montréal, Surprenant et Leclerc ont reçu, respectivement, 700 000 $ et 500 000 $ en pots-devin au cours des années.
Rencontrés à Polytechnique, Frédéric Boivin et Kevin Leong, étudiants en génie électrique, partagent leur dégoût face à la corruption mise au jour par la Commission. «C’est ridicule, affirme M. Boivin. Ces gestes vont entacher la profession d’ingénieur. » Kevin Leong l’appuie. « La corruption est devenue tellement présente. Si j’avais été à la place des deux ingénieurs, aurais-je dénoncé sur le champ ? se questionne- t-il. Je ne sais pas comment j’aurais réagi à une telle menace.» Manifestement interpellés par la question de l’éthique chez les ingénieurs, la Confédération pour le rayonnement étudiant en ingénierie du Québec (CREIQ) a publié en avril dernier une enquête réalisée auprès des étudiants en génie dans la province.
Selon ce sondage, 84 % des répondants, avant même les révélations de Surprenant et de Leclerc, trouvaient les allégations de collusion nuisibles pour la réputation des ingénieurs. Président de la CREIQ et étudiant à Polytechnique, Bastien Mony atteste par contre que les étudiants considèrent plutôt l’administration publique comme corrompue et non les ingénieurs en général. Selon lui, l’éthique est une préoccupation beaucoup plus importante aujourd’hui qu’elle ne l’était dans les années 1970.
Cours d’éthique obligatoire
À Polytechnique, un cours d’éthique est donné depuis 12 ans à l’ensemble des futurs ingénieurs. «Un code de déontologie, ça s’oublie, tous les professionnels sont à risque de déraper, affirme le coordonateur de l’unité d’éthique de Pol y technique et professeur, Bernard Lapierre. C’est pourquoi il fallait aller plus loin que la déontologie et former les jeunes à exercer leur jugement en toute circonstances.»
Misant sur l’application d’un processus de prise de décision éthique à des problématiques réelles, le cours est généralement donné en 3e ou en 4e année de baccalauréat. À ce moment-là, les universitaires sont plus matures et conscients des enjeux de leur industrie, selon M.Lapierre.
Bien que satisfait de l’existence de cette formation, le président de la CREIQ déplore le fait que l’éthique soit circonscrite à un seul cours. «Il faudrait aborder cette notion dans chacune de nos classes pour qu’elle fasse partie intégrante de la profession d’ingénieur, ajoute-t-il. Souvent, les étudiants qui font leur premier stage en entreprise n’ont aucune base en éthique encore. À leur premier contact avec le monde professionnel, ils devraient être plus préparés.» Cet avis fait d’ailleurs partie des recommandations faites au Comité des doyens en ingénierie du Québec dans le cadre de son enquête du printemps dernier. En réaction à la Commission Charbonneau, la CREIQ conseille également à l’Ordre des ingénieurs de rappeler aux étudiants les différentes démarches afin de dénoncer de manière sécuritaire un cas de pratique frauduleuse observée pendant leurs stages.
Face à la polémique, l’Ordre des ingénieurs a créé lors de ces derniers mois un cours sur le professionnalisme obligatoire pour tous ses membres. Ce cours est suivi en ligne et un test sous forme de choix multiples à la fin doit être passé afin de vérifier les connaissances.
Article modifié le 3 décembre 2012 à 14h10