Polyamour, patates pilées et atacas

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Par Edith Pare-Roy
mercredi 8 décembre 2010
Polyamour, patates pilées et atacas

Préparatifs des fêtes. Inévitable question de la tante responsable du souper : «Viendras-tu accompagnée cette année ? » Fannie répond : « Je viendrai avec Samuel et avec Véronique.» La tante essaie de comprendre : «Ah, Véronique ne fête pas avec son copain ? Elle est célibataire ?» Fannie lui fait un dessin : «Elle a un amoureux, mon copain, et une amoureuse, moi.» Les yeux de la tante s’agrandissent. De toute évidence, le concept du polyamour est nouveau pour elle. Fannie prend un ton léger : « Trois couverts pour nous cette année ! » La tante acquiesce, troublée, imaginant déjà la polémique prendre le dessus sur la magie des fêtes.

24 décembre. Devant la porte, le coeur de Véronique bat fort, les mains de Fannie tremblent, un rire nerveux secoue Samuel. Il faut du courage pour affronter une famille traditionnelle (tous hétéros et monogames) quand on est polyamoureux. Ding dong. Le trio entre, accueilli par quelques becs de matantes, poignées de main viriles de mononcles qui boivent leur Labatt 50 et regards curieux. Pour briser la glace, un homme lance à Samuel : «Ah ben, v’là le chanceux avec ses deux blondes!» (L’hôtesse avait multiplié les coups de fil, prétextant éviter la surprise aux convives, alors qu’elle voulait partager son traumatisme.) Samuel répond: «On est tous chanceux, on est tous amoureux! » Fannie profite de l’occasion pour faire les présentations : « Voici Véronique, nous sommes ensemble depuis 10 mois, et nous fréquentons Samuel depuis 7 mois.» Les invités gardent le sourire malgré le silence qui pèse soudain, hormis les cris d’enfant et l’accordéon du grand-oncle. Par chance, le cousin déguisé en père Noël arrive à ce moment, ce qui détourne l’attention.

L’entrée en matière

Quelques bières, cadeaux déballés et blagues grivoises plus tard, l’hôtesse crie d’une voix suraiguë : «On passe à table !» À peine l’entrée servie, les questions surgissent : « Vous êtes donc un couple à trois ? » « Oui, un trio. » « Comme les mormons polygames? » Fannie répond: «Non, la polygamie permet à un homme de marier plusieurs femmes. Au contraire, le polyamour signifie qu’une personne (homme ou femme) peut entretenir plus d’une relation amoureuse à la fois.» Véronique poursuit : «La polygamie s’appuie sur l’idéologie patriarcale. Les femmes ne peuvent pas entretenir des relations entre elles ou avec d’autres. C’est inégalitaire. » Samuel ajoute: «Fannie et Véronique ont commencé à se fréquenter en premier. Trois mois plus tard, je suis entré dans le portrait aussi.» Une cousine s’insurge : «Encore un homme avec deux femmes… C’est injuste ! Pourquoi je n’aurais pas deux copains, moi ? !» Son copain perd le sourire quand Samuel répond : «Il existe plusieurs façons de vivre le polyamour. Parfois, c’est un trio composé d’une femme et de deux hommes, ou de trois femmes, trois hommes, etc. D’autres fois, un homme ou une femme entretient deux relations amoureuses ou plus à la fois, sans que ses partenaires se fréquentent, ce qu’on appelle des relations parallèles. » Véronique ajoute : « D’ailleurs, dans l’Association québécoise des polyamoureux, on compte davantage de femmes que d’hommes en relation polyamoureuse. »

Le débat de résistance

Tante #2 s’étouffe avec un morceau de dinde : «Il y a même une association?!» Fannie réplique: «Oui, ça nous permet de nous regrouper et de parler de nos expériences, sans être jugés. » Samuel ajoute, moqueur: «Vous pouvez venir aussi ! C’est ouvert à toute personne intéressée par le sujet, même les monogames. On aime tout le monde!» Véronique précise : «Il y a une rencontre mensuelle, habituellement un jeudi soir, au restaurant Commensal sur Saint-Denis. » Vaincue par sa curiosité, la tante accepte. Son mari se fâche : «Pas question que tu passes une soirée avec ces freaks-là ! En plus d’être bisexuel, ça couche à plusieurs. C’est contre la nature et contre la volonté divine !» L’intello de la famille prend la défense du trio : «Vivre et laisser vivre ! Mets ton idéologie judéo-chrétienne de côté trois secondes et dis-toi que les relations peuvent avoir différentes configurations.» Tante #3 essaie de détendre l’atmosphère : «Ah, ça me rappelle l’époque hippie… L’amour libre, le sexe…» Fannie la coupe : « Pas toutes les relations polys sont ouvertes. Certaines, comme la nôtre, se fondent sur la polyfidélité ; nous sommes fidèles entre nous.» Samuel ajoute : «Toutes les relations polys s’appuient sur la transparence et le consensus. Il y a des règles à respecter. »

Dans l’espoir de créer une distraction, la grand-mère sert à nouveau aux convives des patates pilées, noyées d’un coulis aux atacas. Elle se dit qu’elle aurait bien aimé connaître le polyamour à son époque. Ça lui aurait évité de voir des amants et des maîtresses en secret.

Merci à Jean-François Villeneuve, président de l’Association québécoise des polyamoureux (www.polyamour-quebec.ca), de m’avoir accordé une interview qui m’a inspiré cette histoire.

Les personnages de cette chronique sont fictifs, toute ressemblance avec la réalité serait le fruit du hasard. Les faits, eux, sont bien réels.