Climat toxique, comportements problématiques et manque de soutien de l’administration : une dizaine d’étudiants de la Faculté de médecine dentaire de l’UdeM condamnent l’environnement dans lequel ils évoluent. Début 2021, une lettre déposée au Bureau d’intervention en matière de harcèlement (BIMH) pour dénoncer les agissements d’un professeur et membre de l’administration a poussé la Faculté à résoudre une série de problèmes pourtant connus du doyen depuis fin 2019.
NDLR À la demande des intervenants de la Faculté de médecine dentaire, des noms fictifs sont utilisés pour préserver leur anonymat.
Au début du mois de février dernier, Le Devoir a publié un article dans lequel sont exposées plusieurs plaintes à l’encontre de la Faculté de médecine dentaire de l’UdeM. Dans le texte, la FAÉCUM mentionne qu’un « climat de performance » existe au sein de celle-ci, mais cette allégation est réfutée par la majorité des intervenants, actuels ou anciens étudiants, ainsi que par une clinicienne en poste à la Faculté, avec qui Quartier Libre s’est entretenu.
Sur les neuf personnes interrogées, huit s’accordent pour décrire le climat toxique qui règne au sein de la Faculté, un intervenant allant jusqu’à utiliser le terme « climat de terreur ». « C’est horrible, c’est un environnement de harcèlement psychologique qu’on vit chaque jour, explique Léa, ancienne étudiante et diplômée. Si on savait dans quoi on s’embarquait, on ne le referait pas. »
Un autre ancien étudiant, Chris, partage le même avis. « J’ai beaucoup de rancœur contre la Faculté, je les déteste, avoue-t-il. Si j’avais à recommencer mes études, je ne le ferais pas. »
Questionnée sur son choix sémantique, la FAÉCUM assure parler de la même chose. « Je parle d’un climat de performance qui est toxique, précise la secrétaire générale de la Fédération, Sandrine Desforges. J’ai aussi entendu le terme “inflexibilité” pour parler de la Faculté de médecine dentaire, donc je pense qu’il faut amalgamer plusieurs adjectifs pour créer ce climat toxique là. »
Les témoignages recueillis par Quartier Libre décrivent une administration en opposition avec les besoins de la communauté étudiante, tous les intervenants ayant le sentiment que la Faculté est contre eux plutôt qu’à leurs côtés. « C’est lourd comme climat, il y a beaucoup de stress et aucune mesure en place pour le diminuer, on dirait plutôt que tout est fait pour le maximiser, déplore Mathilde, étudiante depuis plusieurs années en médecine dentaire. Si quelque chose se passe mal, tu es tout seul. »
Des étudiants en détresse
La majorité des étudiants interrogés ont le sentiment d’avoir été poussés à bout, contraints de s’adapter à un contexte difficile sans recevoir de considération pour leurs efforts. « Ce n’est pas un climat où on se sent bien et soutenu, personne ne va bien dans sa tête, quand tu es admis à la Faculté, on devrait te donner un coupon pour une thérapie », ironise Mathilde.
Le manque de sommeil revient dans le témoignage de plusieurs étudiants, pour qui il est fréquent de passer de longues journées à la Faculté. « Ça arrive souvent qu’on soit à l’école de 7 h à 21 h, et qu’on vienne aussi la fin de semaine, souligne Chris. Pourtant, on n’a pas l’impression d’avoir beaucoup de considération pour nos efforts. Ça m’a poussé à un extrême que je n’aurais jamais pensé atteindre. Je pleurais littéralement chaque soir. »
Le stress accumulé par Maude, étudiante à la Faculté, s’est transformé en trouble de l’anxiété. « À la fin de la 2eannée, j’ai fait des attaques de panique et d’anxiété, explique-t-elle. Je n’ai jamais autant stressé que dans ce programme, au point où c’est épuisant mentalement. »
Sandrine, qui travaille au sein de la FAÉCUM depuis trois ans, révèle que la Fédération reçoit des centaines de plaintes chaque année pour toutes les facultés, mais elle admet que celle de médecine dentaire se démarque. « Les plaintes ou les cas qu’on a eus à traiter laissent sous-entendre qu’il y a un climat particulier et problématique », reconnait la secrétaire générale, qui ne peut communiquer de chiffres.
Le manque de soutien
Comme pour l’ensemble de la communauté étudiante de l’Université, les étudiants en difficulté peuvent se tourner vers le réseau des Sentinelles. Ces membres du personnel de l’UdeM ont pour mission d’aider les étudiants en situation de détresse psychologique, en les aiguillant vers les ressources adéquates. La porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara, affirme que les Sentinelles ont suivi une formation qui leur permet de répondre aux besoins des étudiants en détresse. « Les étudiants doivent avoir confiance en ces ressources, elles sont là pour une raison, les aider », assure-t-elle.
Toutefois, en médecine dentaire, les membres des Sentinelles font partie de l’administration ou du corps professoral, ce qui ne donne pas confiance aux élèves. « On y retrouve des personnes importantes de la direction avec qui on n’est pas à l’aise de parler de nos situations ou de notre stress », explique Maude.
Ce manque d’accompagnement s’est avéré compliqué pour une partie des étudiants de 3e année, qui ont appris en décembre 2020 le suicide de l’un de leurs camarades, survenu un peu plus tôt. « Il n’y a pas eu de mesures concrètes mises en place, on a reçu des courriels de routine nous rappelant que si on se sent en difficulté, on peut appeler le soutien psychologique de l’Université, se souvient l’étudiant Quentin. On nous a redirigés vers d’autres services, mais ils ne comprennent pas que notre stress vient d’eux. »
Mme O’Meara rappelle que des ressources en santé mentale existent à l’UdeM pour aider les étudiants, parmi lesquelles des séances avec un psychologue, soit à la clinique interne ou grâce aux assurances de la FAÉCUM.
Le climat dans lequel évolue la communauté étudiante prive celle-ci de droits qui lui sont normalement accessibles. « Si on a un problème de santé, c’est vraiment un fardeau, tu te demandes comment tu vas leur en parler, comment tu vas avoir des ajustements, développe Léa. En cinq ans, je n’ai jamais demandé à aller chez le médecin, car j’avais peur de leur réaction et des répercussions. »
L’article du Devoir relate que deux plaintes ont été déposées contre la Faculté de médecine dentaire, chacune alléguant que l’obligation d’offrir des accommodements à un étudiant au trouble diagnostiqué n’a pas été respectée. « On a l’impression de demander des faveurs, alors que ce sont nos droits », se désole Maude.
Les cas rapportés à la FAÉCUM font état d’une certaine peur qui s’installe chez les étudiants, ces derniers ayant le sentiment de ne pas avoir droit à l’erreur.
« Il y a des professeurs qui sont connus pour faire pleurer »
Chaque personne interrogée convient que le fait que le programme soit difficile est normal, et que les étudiants doivent s’acclimater à une certaine dose de stress. Mais dans le cas de la Faculté de médecine dentaire, l’angoisse vécue par les étudiants est décrite comme disproportionnée.
« Ils ne sont pas nombreux, mais il y a des professeurs qui s’en câlissent, qui nous disent qu’on est mauvais, qui nous donnent des échecs pour des caprices et qui nous mettent des bâtons dans les roues pour rien, s’insurge Chris. Je pense à un professeur qui faisait pleurer quelqu’un à chaque clinique, il l’insultait. C’était fréquent et connu de tous. » D’après Léa, les élèves en pleurs sont monnaie courante à la Faculté. « Il y a des professeurs qui sont connus pour faire pleurer », approuve-t-elle.
Les étudiants parlent de crises de colère, de fureurs ou de punitions excessives. Ceux placés avec des cliniciens trop sévères se sentent désavantagés. Géraldine, clinicienne en poste à la Faculté, le confirme. « Si tu es chanceux et que tu tombes sur un bon clinicien, ta session va bien se passer, commente-t-elle.Mais si tu tombes sur un clinicien plus problématique et que tu es pris avec lui, alors ton année sera de la merde. »
Si cette clinicienne précise que la même chose pourrait être dite sur certains étudiants, elle concède que rien ne justifie le comportement exercé par certains professeurs. « Peu importe la situation, aucun étudiant ne mérite de se faire humilier ou rabaisser devant des patients ou d’autres étudiants », insiste-t-elle.
Les actions d’une minorité
L’environnement qui a pris racine au sein de la Faculté de médecine dentaire semble provenir d’une poignée de personnes. « C’est certain qu’il y a beaucoup de place à l’amélioration sur la façon dont la Faculté traite les étudiants, affirme Géraldine. Mais il y a des nuances à faire, ce ne sont pas toutes les personnes qui ont ce comportement, ce sont quelques-unes ciblées. »
Les étudiants actuels ou anciens reconnaissent avoir bénéficié d’un enseignement de qualité et avoir pu discuter ou agir normalement avec une partie des professeurs ou des cliniciens. « On a d’excellents professeurs, admet Vincent, qui étudie depuis quelques années en médecine dentaire. Mais on dirait qu’il y a quelques fruits qui pourrissent le lot. »
La FAÉCUM confirme l’idée selon laquelle le climat toxique semble être entretenu par une minorité de personnes. « Ça concorde avec les témoignages et plaintes qu’on a reçus », constate Sandrine.
Questionnée sur les actions prises afin de protéger les étudiants qu’elle représente, la FAÉCUM explique se pencher sur les plaintes au cas par cas. Sandrine soutient que ce n’est pas le travail de la Fédération de traiter des enjeux propres à chaque faculté. « Ce n’est pas à la FAÉCUM de s’asseoir avec l’unité pour traiter des enjeux locaux, rappelle-t-elle. Nous, nous nous assurons de traiter les enjeux globaux. Notre rôle consiste à outiller les associations étudiantes pour qu’elles fassent ce travail auprès des différentes unités. »
Contactée, l’Association des étudiants en médecine dentaire de l’UdeM (AÉMDUM) a déclaré ne pas vouloir commenter la situation.
« On dirait qu’il essaye de nous piéger »
Une personne en particulier, qui occupe plusieurs rôles au sein de la Faculté, celui de professeur et de membre de l’administration, semble cristalliser les tensions. Chaque intervenant interrogé par Quartier Libre la mentionne, juge son comportement déplacé et estime qu’elle participe au maintien du climat toxique qui gangrène la Faculté. « Ça fait deux années que ce professeur cause des problèmes dans la Faculté », assure Vincent.
Obsédé par un respect strict du règlement, le professeur en question patrouille depuis 2019 dans les laboratoires pour prendre en flagrant délit des étudiants qui contreviennent au règlement et les photographier. Les photos sont prises sans le consentement des élèves. « C’est comme une menace pour faire plier l’étudiant, et il garde la photo dans le dossier pour avoir un moyen de pression contre lui si un jour, il y a un problème », explique Maude. Cette situation a mis Quentin mal à l’aise. « C’est très intrusif, on travaille et tout d’un coup, on voit une vieille personne venir et prendre des photos, c’est très étrange, confie-t-il. On est rendu à un point où on a de fortes raisons de se demander pourquoi ce professeur fait ça, on dirait qu’il essaye de nous piéger. »
Questionnée sur les plaintes contre ce professeur membre de l’administration, Mme O’Meara préfère ne pas faire de déclaration sur le sujet. « On ne commentera pas les témoignages de chacun ni la lettre, mais on prend des mesures, affirme-t-elle. La Faculté et le doyen prennent acte de cette situation. »
Une lettre déposée au BIMH
En janvier 2021, une lettre signée par plus de 60 étudiants de 3e année sur 79, qui dénoncent les agissements de ce professeur, a été déposée au BIMH. Les élèves de cette cohorte ont décidé d’agir après la tenue un examen en ligne en décembre 2020, au terme duquel 13 d’entre eux ont été recalés. « L’examen, ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, poursuit Vincent. On est tannés de son comportement, il nous a enregistrés sans notre consentement, il nous accuse de plagiat sans preuve, on veut que ça change. » La Faculté a depuis décidé qu’aucun étudiant ne sera finalement mis en cause.
La lettre déposée au BIMH correspond plutôt à un signalement qu’à une plainte formelle, précise Mme O’Meara. « Mais ce qui était dans cette lettre était assez préoccupant pour qu’on prenne ça très au sérieux et que le BIMH entame des travaux avec toutes les parties prenantes dans ce dossier-là », affirme-t-elle.
La porte-parole de l’UdeM assure que la situation a évolué depuis le dépôt de la lettre. Un comité conjoint créé en février 2021 et regroupant des personnes de l’administration, des étudiants et des professeurs de la Faculté, se réunit chaque mois. D’après Mme O’Meara, les étudiants peuvent y exprimer ce qu’ils ressentent et parler de ce qui pourrait être amélioré au sein de la Faculté. « À la suite du signalement de janvier, le doyen et ses collègues veulent que les choses changent, ils souhaitent favoriser un milieu académique propice à l’apprentissage et à l’engagement étudiant », spécifie-t-elle.
Le retrait du professeur membre de l’administration
En date du 29 mars, les étudiants ont reçu un courriel du doyen de la Faculté de médecine dentaire, Shahrokh Esfandiari, qui les a informés que le professeur en question se retirait de son rôle associé aux affaires étudiantes. Le communiqué ne révèle pas les raisons de ce retrait. « Autour de moi, il y a un sentiment de victoire, on se dit qu’on a réussi à changer les choses et que l’union fait la force », se réjouit Mélanie, elle aussi étudiante en médecine dentaire, qui explique que ce changement de statut devrait restreindre les contacts des étudiants avec ce professeur.
Le message envoyé à la communauté étudiante précise que le professeur reste néanmoins membre de l’administration, le doyen le remerciant pour son engagement passé et futur au sein de la Faculté.
Quartier Libre a formulé une demande d’entrevue auprès de l’UdeM afin de s’entretenir avec le doyen de la Faculté de médecine dentaire. « Le doyen travaille très fort pour rétablir un climat propice à l’enseignement, et il préfère se garder un devoir de réserve sur ce sujet pour le moment », a répondu Mme O’Meara.
Un sondage en 2019
D’après les témoignages de l’UdeM et de la FAÉCUM, le dépôt de la lettre au BIMH semble être le point de départ d’une nouvelle dynamique au sein de la Faculté. Cette dernière prend acte des doléances des étudiants, tant sur le climat général que sur le comportement du professeur visé par la lettre. Pourtant, en 2019, plusieurs sondages avaient déjà circulé au sein de la communauté étudiante. Ces documents lui offraient la possibilité de commenter anonymement le comportement adopté par le professeur membre de l’administration.
Les résultats d’un premier sondage, qui comprennent de nombreux commentaires négatifs sur l’attitude intimidante et menaçante du professeur, avaient été dévoilés au doyen de la Faculté de médecine dentaire lors d’une première rencontre à la fin du mois d’octobre 2019. « Ça a été présenté au doyen, qui a d’abord été outré, il voulait changer ça », affirme Mélanie.
Un second questionnaire avait été envoyé aux étudiants en janvier 2020, en amont d’une deuxième rencontre avec le doyen qui a eu lieu à la fin du même mois. D’après les personnes interrogées par Quartier Libre, les commentaires regroupés dans le second questionnaire n’attestent pas d’un changement radical d’attitude de la part du professeur membre de l’administration.
Lors de cette réunion, deux étudiants sur huit avaient tout de même fait état d’une amélioration dans le comportement du professeur, mais les six autres avaient rapporté ne pas avoir constaté de changement.
L’affaire en est restée là et le dossier sur les agissements du professeur s’est refermé jusqu’au dépôt de la lettre au BIMH. Pourtant, plusieurs étudiants confirment que l’attitude problématique du professeur a repris après les échanges avec le doyen.
Selon Mme O’Meara, à chaque fois qu’un problème est apporté à l’attention du doyen, il n’est pas ignoré et des interventions ont lieu pour améliorer la situation. « Il arrive que les résultats soient observés de manière progressive, détaille-t-elle. Des étudiants ont affirmé que les choses se sont améliorées et la Faculté continue de mettre tout en œuvre, notamment avec le comité conjoint, pour être à l’écoute de la communauté étudiante et que les situations ne s’enveniment pas. »
Une culture du silence
Les actuels et anciens étudiants avec qui Quartier Libre s’est entretenu confirment qu’au cours de leur parcours universitaire, il leur a été conseillé de rester discrets pour éviter les problèmes. Cet avertissement est souvent prodigué par des élèves ayant plus d’ancienneté.
Maude se rappelle avoir été prévenue par des étudiants de 4e année. « Ne pas faire de vague, rester discret, on me l’a dit quand j’étais en première année », se souvient-elle. Léa et Chris avaient également reçu l’avertissement de garder la tête basse pendant leurs études. « À l’époque, des étudiants de 2e année m’ont prévenue que si tu parles, tu te retrouves sur le radar de la Faculté ensuite », témoigne Léa.
Les études en médecine dentaire sont coûteuses et peuvent atteindre plus de 100 000 $. Sur les neuf personnes interrogées, sept sont endettées à cause de leurs études. Les montants de ces dettes varient, allant de 20 000 $ à plus de 100 000 $. « C’est l’une des raisons pour lesquelles on ne veut pas dénoncer la Faculté, assure Quentin. On aimerait pouvoir dénoncer tout ça, mais le bouche-à-oreille est fort dans ce milieu et il y a une possibilité pour que tu sois désigné comme un mauvais étudiant. Les dettes sont là et je ne suis pas prêt à tout risquer. »
Géraldine admet se taire, car le sentiment général est que la situation restera la même. Pour elle, la Faculté est tombée dans l’immobilisme. « On ne parle pas, parce qu’on a l’impression qu’on n’a pas de poids, que ça ne changera rien, soupire-t-elle. Les cliniciens sont syndiqués et ça prend un épais dossier pour attaquer, puis c’est ta parole contre la sienne. »
Mme O’Meara avance que depuis janvier, parler d’immobilisme au sein de la Faculté de médecine dentaire n’est plus possible. « On prépare l’avenir, et la Faculté est mobilisée pour que la situation ressentie par les étudiants s’améliore, affirme-t-elle. On est dans ce processus-là en ce moment, et le dialogue se passe bien, avec beaucoup de monde. »