Périphérie : Dans les méandres de la création d’un magazine

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Par Nazdar Roy
vendredi 18 novembre 2022
Périphérie : Dans les méandres de la création d'un magazine
En ce mois de novembre, un nouveau magazine culturel créé par une étudiante de l’UdeM voit le jour. Sa mission ? Mettre en lumière les pratiques artistiques marginales. Incursion dans le processus de création d’un magazine imprimé à l’ère de l’omniprésence du numérique.

C’est au cours de la pandémie que la rédactrice Florence La Rochelle, ancienne étudiante au certificat en journalisme de l’UdeM, s’est découvert une nouvelle passion : le magazine imprimé. En pleine période de confinement, elle a commandé divers périodiques étrangers, comme la revue d’arts visuels anglaise Elephant, mais aussi québécois, comme BESIDE et Nouveau Projet. S’est alors retrouvée au pied de sa porte une sélection de « beaux objets imprimés intelligents qui avaient à cœur la cohérence entre le contenu et le contenant », précise-t-elle. Inspirée par tous ces magazines, elle a ensuite décidé de créer le sien.

Périphérie : une exploration des marges artistiques

Lorsqu’elle a entamé l’écriture de la ligne éditoriale de son projet de magazine au cours de l’été 2021, Florence a constaté l’offre abondante de magazines artistiques spécialisés, que ce soit en théâtre, en arts littéraires ou en arts visuels. Elle a voulu créer une plateforme qui met en avant les formes artistiques moins médiatisées, situées en marge des catégories classiques, d’où le nom attribué à son magazine : Périphérie.

La journaliste précise que son équipe et elle « [veulent] prouver que l’art est partout et qu’il y a plein de gens créatifs de façons différentes. Il suffit de le noter et d’essayer de le comprendre ». Le premier numéro mettra notamment en lumière le travail du typographe Benoît Bodhuin, qui explique le processus de conception de polices de caractères, ainsi que celui du chef culinaire Samy Benabed, qui aborde la place de la créativité dans la conception de ses plats.

Privilégier le magazine imprimé à l’ère numérique

Après avoir consulté une panoplie de magazines durant la pandémie, Florence n’a pas hésité à privilégier le format imprimé. « Quand tu commences à te lancer dans le magazine imprimé, tu réalises toute la qualité de l’objet qu’est le livre, explique-t-elle. Il impose une lenteur et une pause qui se font de plus en plus rares aujourd’hui, à l’ère des 280 caractères et de la nouvelle rapide. »

« Je me suis lancée là-dedans avec beaucoup de naïveté, et finalement, ça m’a servi. Si j’avais su l’ampleur de la tâche, j’aurais trouvé ça vraiment imposant. »

 Florence La  Rochelle, fondatrice du magazine Périphérie

Périphérie est déjà actif sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram et Facebook, ainsi que sur son site Internet. Une nécessité malgré le choix du format imprimé, selon la créatrice et rédactrice en chef du magazine. Ces plateformes numériques permettent la diffusion du contenu entre les périodes de publication, ainsi que la présentation de contenu exclusif sur la création du magazine.

Une aventure entrepreneuriale parsemée d’apprentissages

Un projet d’une telle envergure ne vient pas sans son lot de défis. « Je me suis lancée là-dedans avec beaucoup de naïveté, et finalement, ça m’a servi, mentionne Florence. Si j’avais su l’ampleur de la tâche, j’aurais trouvé ça vraiment imposant. »

Le journaliste indépendant et chargé de cours au Département de communication de l’UdeM Michaël Monnier, qui donne le cours Atelier salle de presse dans le cadre du programme de D.E.S.S. en journalisme, souligne que malgré les difficultés supplémentaires associées au format papier, le public répond toujours à l’appel. « Il y a tout un monde autour des objets physiques, qui sont consommés différemment [des contenus numériques], explique-t-il. Il suffit d’avoir conscience, dans son plan d’affaires, des défis propres à l’impression et de porter attention à la faisabilité. »

Parmi les enjeux rencontrés, Florence cite notamment la mobilisation de l’équipe, désormais composée de quinze personnes, dont plusieurs viennent des programmes de certificat et de D.E.S.S. en journalisme de l’UdeM. En ce sens, la rédactrice en chef soutient que son programme a été « une excellente façon de rencontrer des gens ambitieux avec qui collaborer. »

D’un point de vue financier, le magazine peut compter sur des commanditaires et des publicitaires. Pour le premier numéro, par exemple, le fruit d’un partenariat avec le Centre canadien d’architecture (CCA) prendra la forme d’un article qui présentera un artiste de sa dernière exposition. Pour Florence, de telles collaborations et la vente d’espaces publicitaires sont nécessaires à la pérennité du périodique. Une campagne de sociofinancement a également été mise en place sur la plateforme La Ruche Québec.

Bien que le projet se déroule jusqu’à présent sans la collaboration de l’UdeM, Florence affirme être ouverte à une future entente, du moment que celle-ci lui permet de maintenir son indépendance. « C’est un luxe de ne pas être soumis aux dogmes de l’actualité et des institutions, qu’elles soient médiatiques ou académiques, poursuit-elle. Notre but est de conserver notre liberté éditoriale. »

Le format imprimé vient également avec des enjeux qui lui sont propres. Comme plusieurs périodiques, Périphérie a dû composer avec les pénuries de papier et l’augmentation des coûts d’impression qui sévissent depuis la pandémie. Puisque le magazine est un projet indépendant et émergent, l’équipe a dû déployer beaucoup d’énergie afin de trouver un imprimeur dont la tarification correspond à son budget.

L’intégration du réseau des Librairies indépendantes du Québec a aussi été un travail de longue haleine. Après avoir contacté personnellement plusieurs libraires et leur avoir présenté son projet, Florence peut désormais compter sur une vingtaine de librairies dans toute la province, lesquelles serviront de points de vente pour Périphérie.

Florence Larochelle. Photo : Courtoisie | Mélisande Charbonneau-Gravel

La créatrice du magazine, qui a fait des études de commerce à l’Université McGill avant de se tourner vers le journalisme, n’était pas étrangère au processus de lancement d’une entreprise avant de lancer son périodique. Toutefois, jusqu’à présent, le terme « entrepreneure » ne l’interpellait pas. « Il semblait y avoir un rationnel économique derrière l’idée de lancer un projet entrepreneurial, et je ne l’avais juste pas, avoue-t-elle. Si tu veux faire de l’argent, ne lance pas un magazine ! » Elle reconnaît toutefois que la création de Périphérie, un organisme à but non lucratif, a également sa place sous le grand parapluie de l’entrepreneuriat.

Monnier encourage ses étudiant·e·s à se lancer dans de tels projets journalistiques, bien qu’il invite à la prudence. « Je leur dis de tou- jours essayer, sans mettre tous leurs œufs dans le même panier, souligne-t-il. Je les encourage à explorer diverses avenues, et même si ça ne marche pas, ils auront appris quelque chose. C’est important de se pratiquer ! »

Des innovations dans la mire

Bien que le magazine en soit à ses tout débuts, les idées pour le futur ne manquent pas. Florence évoque le désir de « s’éclater dans la forme » du périodique, que ce soit en publiant d’autres sortes d’objets imprimés, comme des carnets détachables à l’intérieur des pages, ou en ayant recours à des techniques d’impression variées, par exemple en ajoutant des pages trouées ou transparentes.

NDLR : Nazdar Roy est étudiante au D.E.S.S. en journalisme et n’est pas affiliée au magazine Périphérie.