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«PASSERELLES», le projet identitaire et culturel d’universitaires judéo-marocain·e·s

« C’est un brassage culturel extraordinaire », explique la coprésidente de l’association à but non lucratif Mémoires & Dialogue, Wassila Tazi, lors d’une entrevue accordée à Quartier Libre.

Créée en 2012, cette association a pour objectif de bâtir des ponts entre les communautés juives et musulmanes du Canada et du Maroc, et souhaite également promouvoir le dialogue, la paix et le vivre ensemble. Dans le cadre de ses activités, elle a mis en place le projet « PASSERELLES », en partenariat avec l’UM6P et le Centre culturel marocain Dar Al Maghrib.

« Notre but est de créer des passerelles, en connectant nos jeunes du Canada avec le Maroc, avec la culture judéo-marocaine, leur permettant ainsi de mieux connaître l’héritage civilisationnel du Royaume et la richesse de la culture marocaine plurielle », explique Mme Tazi. Les participant·e·s, âgé·e·s de 20 à 25 ans, ont réussi le processus de sélection grâce à la singularité de leur profil et leur motivation.

Première édition

La première édition de « PASSERELLES », qui se déroule depuis la fin du mois de mars 2023, vise à mettre en lien les étudiant·e·s à travers un jumelage, des ateliers virtuels et un voyage-échange entre le Maroc et le Canada.

Les participant·e·s devront produire ensemble un livre illustré, qui sera présenté sur le stand du Centre culturel marocain Dar Al Maghrib lors du prochain Salon du livre de Montréal, ainsi qu’un court-métrage retraçant leurs expériences au cours du projet et qui sera présenté à des médias canadiens et marocains lors de la clôture de celui-ci.

« Tout au long du projet, les intervenants professionnels accompagnent les jeunes étudiants pour les initier à certains aspects de notre culture plurielle et susciter une prise de conscience, des liens qui unissent les jeunes du Maroc comme l’histoire, la culture, la gastronomie, etc. », précise Mme Tazi.

Des rencontres enrichissantes

Depuis leur sélection, les dix volontaires, cinq du Canada et cinq du Maroc, prennent part à des rencontres virtuelles hebdomadaires. Celles-ci ont pour thème le patrimoine marocain, dans le but de préparer l’accueil des jeunes Canadien·ne·s à Ben Guérir, ville située à 100 kilomètres de Marrakech.

« Les rencontres se passent très bien, déclare l’étudiante au baccalauréat en finance mathématique et computationnelle à l’Université Concordia Jordana Marciano, qui a été sélectionnée pour participer à l’échange. C’est important pour moi de pouvoir apprendre des choses sur mes origines marocaines. »

Les rencontres, dont la première avait pour thème : « C’est quoi, être marocain ? » répondent ainsi à ses attentes.

Lors de la vidéoconférence, les étudiant·e·s ont pu se présenter et exprimer leur attachement au Maroc. « Il fallait expliquer comment chacun vivait sa marocanité, que ce soit tout simplement par sa nationalité, sa religion, ou autre, précise Mme Tazi. Les étudiants ont partagé des objets qui représentaient leur lien avec le Maroc, c’était vraiment extraordinaire. »

Pendant les sessions, les participant·e·s ont notamment assisté à une conférence du professeur d’archéologie Abdellah Fili sur l’histoire du Maroc et à une conférence de l’ancien président de la Communauté sépharade unifiée du Québec, David Bensoussan, chercheur reconnu pour ses ouvrages littéraires, qui portent sur l’histoire du judaïsme au Maroc. « Les étudiants ont pu comprendre comment des Juifs se sont retrouvés au Maroc, comment ils y vivaient », poursuit Mme Tazi.

« J’ai appris que l’histoire des Juifs au Maroc est unique, témoigne l’étudiant de quatrième année à la Faculté de droit de l’UdeM Meir Hersson-Edery. Le sentiment d’appartenance au Maroc que les Juifs ont pu vivre, même après leur départ, ça n’existe nulle part ailleurs dans le monde. Les Juifs ont souvent été persécutés, mais au Maroc, il y a eu tellement d’histoires sur le vivre-ensemble, d’amour pour son voisin… Des histoires qui reflètent tellement cette relation judéo-marocaine ! Aider à conserver cette relation, c’est quelque chose que j’ai envie de faire. »

« Les rencontres virtuelles sont censées finir après la venue du groupe du Maroc à Montréal, mais on compte bien sûr garder contact après ça , mentionne Jordana. Il faudra évidemment aussi parler du livre qu’on doit préparer. »

« On ne cherche pas à écrire un livre historique ou factuel, on trouve que ce qui peut être intéressant pour les autres dans ce travail, c’est de les accompagner dans la progression de notre identité, et dans les préconceptions qu’on a pu avoir avant le projet », souligne Meir.

Le groupe pourra profiter des conseils du consultant en création littéraire Nathan Cohen-Fournier pour concevoir leur livre. « On a insisté sur le fait que les jeunes soient à l’aise, qu’ils puissent créer quelque chose à leur image, précise Mme Tazi. L’idée est qu’ils aient du plaisir à le faire, qu’ils puissent communiquer les uns avec les autres. C’est tout le charme de ce projet. »

Les échanges à Montréal, puis au Maroc

Lors de leur séjour au Canada, qui prendra fin le 7 juin prochain, les étudiant·e·s de l’UM6P auront notamment la chance de visiter le parlement canadien à Ottawa, où une rencontre avec l’ambassadrice du Maroc est prévue, de visiter les campus des universités McGill et Concordia à Montréal, ainsi que de participer à des rencontres avec des responsables de Radio-Canada, du Centre culturel marocain Dar Al Maghrib et de Radio Shalom.

Le révérend d’origine marocaine Hazzan Daniel Benlolo, de la synagogue hispano-portugaise de Montréal, première institution juive du Canada fondée en 1768, a également invité l’ensemble du groupe à partager le moment sacré du Shabbat le vendredi 2 juin.

Une soirée de réseautage est ensuite prévue le samedi 3 juin à la galerie d’art contemporain BOA, sur le Vieux-Port, pour « faire vivre une soirée montréalaise » aux étudiant·e·s de l’UM6P.

Lors de leur voyage au Maroc, qui se déroulera du 5 au 13 juillet prochains, les étudiant·e·s visiteront dans un premier temps le campus Ben Guérir de l’UM6P. Plusieurs monuments du patrimoine marocain seront aussi au programme, comme la visite de l’imposante mosquée Hassan II, inaugurée en 1993 à Casablanca et érigée en bord de mer.

Les étudiant·e·s auront également la chance de découvrir le musée juif Bayt Dakira – « la maison de la mémoire » en arabe –, qui atteste de la coexistence entre l’islam et le judaïsme dans la ville portuaire d’Essaouira. Celui-ci se situe dans l’ancienne médina, au cœur d’un quartier juif appelé « mellah », terme employé pour désigner les quartiers où vivaient les communautés juives du Maroc. Ces derniers se situaient à proximité des palais royaux, qui assuraient leur protection sous le roi Mohammed V, et plusieurs sont toujours accessibles au public, notamment à Casablanca, à Marrakech ou encore à Fès.

Des rencontres avec le président du conseil des communautés juives du Maroc et avec un conseiller du roi Mohammed VI sont aussi prévues. « On marche dans les pas de sa Majesté le roi Mohammed VI, il a une vision révolutionnaire », se réjouit Mme Tazi.

Le judaïsme et le Maroc, deux cultures intimement liées

« Il y a eu deux grands exils vers le Maroc qu’on peut citer dans l’histoire du judaïsme », déclare le rabbin du Chabad de l’Université de Montréal, Shlomo Banon, qui précise que le premier s’est déroulé vers le cinquième siècle avant Jésus-Christ, et le second en 1492 au moment de l’inquisition de l’Église catholique, dans l’Espagne actuelle, qui a mené les populations juives vers le Maroc, au-delà de la péninsule ibérique. Ces populations, déjà présentes depuis l’Antiquité, se sont renforcées au sein de l’Empire chérifien[1].

Vers la fin des années 1940, environ 250 000 membres de la communauté juive vivaient au Maroc, selon un communiqué royal. « Il en reste autour de 2 000 aujourd’hui », précise M. Banon.

Une forte migration des peuples juifs d’Afrique du Nord, appelés « Juifs sépharades », vers Israël, la France ou encore le Canada après la création de l’État Hébreu en 1948 est à l’origine du déclin de la population juive dans le pays.

Le roi Mohammed VI a toutefois récemment joué un rôle important dans la conservation du patrimoine judéo-marocain. Le Maroc ayant normalisé en 2020 son rapport avec Israël, signé dans les accords d’Abraham, des centaines de milliers de membres de la communauté juive marocaine ont aujourd’hui l’occasion de renouer avec leur pays d’origine.

« [Le roi] a réhabilité les synagogues du Maroc, des musées du judaïsme marocain, réécrit des noms de rues en hébreu dans les mellahs », explique Mme Tazi. C’est ça, l’avenir. Ce que n’ont pas compris les politiciens, les jeunes l’ont compris : il faut dépasser les barrières de politique et de religion, ce sont juste des entraves, des cailloux dans notre chemin. »

[1]. Appellation historique donnée au Maroc entre les XVIe et XXe siècles.

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