Pas encore d’espace pour prier à l’UdeM

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Par Zoé Vollmer
mercredi 6 mars 2024
Pas encore d'espace pour prier à l’UdeM
Les étudiant·e·s n’ont parfois pas d’autre choix que d’improviser des lieux de prière. Photo | Juliette Diallo
Les étudiant·e·s n’ont parfois pas d’autre choix que d’improviser des lieux de prière. Photo | Juliette Diallo
Plus de 20 ans après la première demande pour la mise en place d’une salle multiconfessionnelle à l’UdeM par l’Association des étudiants musulmans de l’Université de Montréal (AÉMUDM), la réponse de l’établissement est toujours la même : l’espace manque. Les étudiant·e·s de l’Association y voient une injustice et ne sont pas prêt·e·s à baisser les bras pour obtenir gain de cause.

Dans le cadre du plan d’action Pour l’équité et l’inclusion 2020-2023, l’UdeM avait fixé comme date butoir décembre 2021 pour établir une procédure de traitement des demandes d’accommodement à motif religieux. Cependant, en ce début d’année 2024, il n’y a toujours aucun signe d’un espace dédié à la prière sur le campus. L’AÉMUDM a pourtant lancé, en octobre 2022, une pétition pour acquérir une salle multiconfessionnelle. Malgré plus de 1 500 signataires, l’administration universitaire n’aurait pas réagi.

Le manque d’espace au sein de l’UdeM est la raison officielle donnée par le Secrétariat général, ainsi que le conseiller en équité, diversité et inclusion, Hayder Achouri, et les étudiant·e·s ne sont toutefois pas convaincu·e·s.

Des explications incohérentes

Les responsables de l’Association des étudiantes et étudiants en droit à l’Université de Montréal (AED) ont, de leur côté, été confrontés non pas à une justification relatant un manque d’espace, mais à l’enjeu de la laïcité lorsqu’ils se sont adressés à l’administration de l’UdeM pour obtenir davantage de clarté.

« Dans une université aussi grande que l’UdeM, je ne pense pas que ce soit si difficile de trouver une petite salle pour répondre à nos besoins », soutient l’étudiant en informatique au Collège de Rosemont Ismaël Blais. Celui-ci souhaite intégrer l’UdeM l’an prochain et participe souvent aux événements de l’AÉMUDM.

La porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara, a indiqué que l’UdeM n’accordait pas d’entrevue à ce sujet « car l’analyse des enjeux est en cours actuellement », en vertu du plan sur l’équité, la diversité et l’inclusion au sein de l’UdeM. Elle a cependant indiqué par voie de courriel que l’Université travaillait à « trouver des solutions aux enjeux soulevés par le regroupement », en mettant notamment en place des « procédures simplifiées de réservation de salles pour la communauté étudiante ».

Pourtant, les étudiant·e·s pratiquant·e·s de l’UdeM dénonceraient depuis plus de deux décennies les conditions de prière précaires sur le campus.

Depuis ses débuts en tant que vice-président de l’AÉMUDM, l’étudiant de deuxième année au baccalauréat en droit Amine Harfouche a dû affronter plusieurs obstacles pour relancer l’Université sur la cause.

Il affirme seulement obtenir des réponses tous les un à deux mois, ce qui rend difficile l’avancement du projet. « Les moyens octroyés par l’UdeM pour répondre à nos besoins sont clairement insuffisants, voire inexistants », rapporte-t-il. De nombreux·euses étudiant·e·s qui souhaitent se recueillir dans la Bibliothèque des lettres et sciences humaines sont constamment prié·e·s de quitter les lieux par les agents de sécurité, qui y sont très présents, « surtout aux moments des prières », affirme l’étudiant. Il signale que ce phénomène n’a pas lieu d’être et qu’il « porte atteinte aux droits des étudiants et à leur liberté religieuse ».

Depuis le début de l’année universitaire, au moins 150 étudiant·e·s membres de l’AÉMUDM ont demandé à l’administration, en personne lors d’événements ou en ligne sur son compte Instagram, si une salle de prière sur le campus existait. « Ce qu’on demande, c’est une salle multiconfessionnelle pour que les étudiants puissent pratiquer leur foi dans un cadre digne, peu importe leur religion », précise Amine.

Obstacles quotidiens

Pour les musulman·e·s pratiquant·e·s, les cinq prières quotidiennes ne sont pas une option, elles constituent une partie intégrante de la journée et des moments essentiels pour se ressourcer. Sans une salle dédiée, vivre pleinement sa religion devient un défi.

La membre de l’AÉMUDM et étudiante de deuxième année à la maîtrise en anthropologie Kamilla Saadi témoigne des complications qui découlent des décisions de l’UdeM. « La prière, ce n’est pas un bonus, ce n’est pas superflu, ça fait partie des piliers de notre journée, et le fait de ne pas avoir d’espace dédié nuit à notre santé mentale », affirme-t-elle.

En outre, selon une enquête de la FAÉCUM, le Centre de santé et de consultation psychologique (CSCP) et le Vice-rectorat aux affaires étudiantes et aux études (VRAÉÉ), 75 % des étudiant·e·s auraient rapporté un désir d’améliorer leur santé psychologique.

La difficulté de constamment devoir réserver une salle sur le campus pour prier pèse sur le moral des étudiant·e·s interrogé·e·s. « Souvent, l’UdeM nous dit à la dernière minute qu’elle a donné la salle à quelqu’un d’autre, ou bien qu’elle a changé l’endroit, et c’est très difficile de faire passer le message à tout le monde avec un délai aussi court », déplore Kamilla.

Faute d’espace et de moyens octroyés par l’Université, les étudiant·e·s s’efforcent donc de trouver d’autres endroits : cages d’escaliers, salles de classe vides, et même dehors. « On se sent comme des étudiantes de seconde classe », confie-t-elle.

Trouver un endroit convenable pour prier demande aussi plus de temps aux étudiant·e·s. Entre deux cours, la communauté fait face à un dilemme : finir leur prière ou arriver en retard en cours. « On ne devrait pas avoir à choisir entre nos études et notre religion », estime Kamilla.

Une réalité, un espoir

« On ne peut pas se permettre de mettre de côté une si grande part de la population, souligne l’étudiant musulman de deuxième année au baccalauréat en communication politique Ali Laouani. Les musulmans constituent une importante portion des étudiants à l’UdeM et au Canada en général ; c’est une réalité qu’il ne faut pas négliger. »

Pour le vice-président de l’AÉMUDM, Amine Harfouche, les prochaines étapes consistent à relancer l’UdeM et à persévérer pour provoquer un changement dans l’attitude de l’administration face à ce sujet. Il souhaite également acquérir davantage de soutien de la part d’autres regroupements et associations.

D’après Amine, adopter un système semblable à celui de l’Université McGill ou l’Université Concordia, qui sont dotées de salles de prière, serait bénéfique pour l’UdeM. « On s’efforce tous de garder espoir, pas simplement pour nous, mais aussi pour les générations futures qui viendront à l’UdeM », avance-t-il.

ERRATUM Dans la version de cet article publié dans le magazine du 6 février, il est mentionné, en page 20 que la FAÉCUM a reçu une réponse de l’UdeM relatant l’enjeu de la laïcité pour expliquer l’absence de salle de prière sur le campus. La FAÉCUM n’a jamais reçu de telle réponse. Nos excuses.