L’accident de Fukushima a remis en question la sécurité de la filière atomique dans son ensemble. Au-delà des centrales elles-mêmes se pose le problème de la gestion des déchets radioactifs. Plongeon au fond des poubelles de l’industrie nucléaire.
L’entreprise Posiva, chargée de construire d’ici 2020 en Finlande un site de stockage de déchets nucléaires, a annoncé il y a une dizaine de jours une étude prochaine sur le comportement d’un tel site dans le cas où il serait frappé par un tremblement de terre au cours des… 100000 années à venir.
C’est un bon exemple des mesures de prévention – ou de relations publiques – qui se multiplient depuis la catastrophe qui a suivi le séisme du 11 mars au Japon. La crise nippone rappelle que le véritable talon d’Achille de cette industrie reste la gestion du risque radiologique, aussi bien à l’étape de la production d’électricité qu’à celle, infiniment plus longue, du stockage du combustible usé et des différents déchets générés par l’exploitation des centrales.
Ces questions mises à part, la filière du nucléaire civil peut se prévaloir d’un bilan plus qu’acceptable. L’énergie produite est très bon marché: aux États-Unis, un kilowattheure d’origine atomique revient à deux cents environ, soit six fois moins que s’il est issu du pétrole.
Le combustible ne représente que 26 % des frais d’exploitation d’une centrale nucléaire, contre 80 à 90 % dans le cas d’une centrale à énergies fossiles. Le minerai d’uranium est relativement bien distribué géographiquement, avec de nombreux pays producteurs pour la plupart politiquement stables : le Canada et l’Australie représentent à eux seuls environ la moitié de la production et le tiers des ressources mondiales.
Les gisements connus permettent d’assurer un peu plus d’un siècle de consommation au niveau actuel, ce qui n’est pas pire que le pétrole.
Pour ces raisons, le prix de l’uranium est relativement stable – entre 40 et 55 $ US la livre, depuis 3 ans – et la rentabilité économique de la filière nucléaire est peu soumise aux aléas géopolitiques ou aux fluctuations du marché des ressources énergétiques. Sur fond de lutte contre les gaz à effet de serre et de relations tendues avec le monde arabe, il n’y a rien d’étonnant au fait que l’atome ait connu un fort regain d’intérêt ces dernières années : le parc mondial actuel de 439 réacteurs devrait doubler d’ici 2050.
Plus de centrales, plus de déchets
Le confinement des déchets nucléaires n’a pas besoin d’une catastrophe pour constituer un sérieux problème. Même dans le cadre d’un fonctionnement régulier, il reste le principal défi de cette industrie. Non pas que le volume des déchets soit important, l’uranium étant une source d’énergie extrêmement concentrée. En France, 18 grammes (environ 1 cm3) par an et par habitant suffisent à produire 80 % de l’électricité du pays.
En dehors du combustible usé lui-même, extrêmement radioactif, la filière nucléaire produit toutefois des quantités beaucoup plus grandes de déchets moyennement et faiblement contaminés (gants, outils, gravats issus du démantèlement des centrales, etc.). Mais l’ensemble représente encore moins d’un kilogramme par an et par personne, contre 500 pour les ordures ménagères.
Par conséquent, le problème des déchets nucléaires n’est pas leur quantité, mais leur extrême nocivité et la très longue période d’activité – jusqu’à plusieurs millions d’années – durant laquelle ils émettent chaleur et rayonnement, ce qui compromet l’intégrité des structures chargées de les contenir. De plus, les effets à long terme des radiations sur l’environnement restent très mal connus.
Les pionniers du nucléaire civil se sont lancés dans l’aventure sans avoir de véritable solution pour leurs rebuts, en pariant sur les progrès à venir. De fait, l’histoire de la gestion des déchets nucléaires est empreinte d’improvisation et de valses-hésitations. Entre 1950 et 1982, par exemple, 100000 tonnes de déchets de moyenne activité ont été déversées dans les océans, à l’intérieur de conteneurs en béton.
Prévus pour résister 500 ans, beaucoup d’entre eux étaient fissurés au bout de 29 ans. Cette pratique est heureusement interdite depuis 1993. Quant aux déchets de faible activité, la plupart des pays acceptent qu’ils soient mis en décharge comme de vulgaires ordures en deçà d’un seuil libératoire de radioactivité. De façon générale, les entreposages sont dits «réversibles » dans l’attente d’une prise en charge finale de leur contenu.
Plus de 250 000 tonnes
Pour les déchets de haute activité et de vie longue (HAVL) – essentiellement le combustible usé qui représente 0,2 % du volume des rebuts nucléaires, mais 95 % de leur radioactivité –, le défi consiste à les neutraliser ou à leur assurer un stockage capable de résister à tout sans aucune intervention pendant des milliers d’années.
Des solutions en tout genre ont été imaginées : la transmutation (transformation d’une substance radioactive en une autre à période plus brève), la réutilisation dans des surrégénérateurs capables de «rebrûler les cendres» des réacteurs classiques, la vitrification puis l’enfouissement en couche géologique profonde, ou même l’envoi dans le soleil.
Le problème, c’est que 60 ans après la première centrale, aucune de ces options n’est encore au point. Seul le stockage en couche géologique profonde est envisagé à moyen terme, avec 20 sites planifiés d’ici 2030. En attendant, les 30 tonnes de déchets HAVL générés par réacteur chaque année s’accumulent.
Aujourd’hui, ce sont environ 250000 tonnes qui sont entreposées dans les piscines des centrales, plusieurs milliers d’installations de surface et une quarantaine de sites à faible profondeur dans l’attente d’un retraitement ou d’un stockage définitif.
Nous cohabitons donc avec une quantité de matières radioactives équivalant à plusieurs centaines de fois l’arsenal nucléaire mondial, dont nous ne sommes séparés que par quelques mètres d’eau, de sol ou des murs de béton. Il y a là quelques Fukushima possibles.