L’université hors d’elle-même

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Par Louis Chaput-Richard
mercredi 26 janvier 2011
L'université hors d'elle-même

L’UPop, la nouvelle université populaire de Montréal, se donne pour mission de sortir les savoirs de leurs tours d’ivoire et de les rendre plus conviviaux. Elle vient de clôturer sa première session d’activités. Rencontre avec l’une de ses fondatrices.

Mardi soir. L e Bar Populaire sur la rue Saint-Laurent, aux portes de la Petite Italie, est plein à craquer. Nous devons jouer des coudes pour entrer dans la salle et trouver une petite place à l’arrière. Concert attendu du nouveau groupe de l’heure? Non. Nous sommes plutôt à l’un des cours offerts par la nouvelle université populaire de Montréal, l’UPop, qui a lancé ses activités en septembre dernier. À constater le succès impressionnant qu’a connu ce cours d’économie tout au long de l’automne, on comprendra aisément la satisfaction et l’enthousiasme affichés par les organisateurs au terme de cette première session. «La réponse du public est très, très positive », confirme Eve-Lyne Couturier, l’une des fondatrices et coordinatrices de l’UPop.

Pour un savoir convivial

La mission de l’UPop, qui s’inspire des universités populaires européennes, se résume en une idée simple : rendre le savoir plus accessible. « L’idée est de sortir la matière intellectuelle des structures institutionnelles, qui sont souvent contraignantes et fermées sur elles-mêmes, estime Eve- Lyne Couturier. Il s’agit de trouver les moyens et les lieux pour que la transmission du savoir et la réflexion critique deviennent plus conviviales et agréables pour des gens qui n’ont pas forcément envie de se retrouver dans une salle de classe universitaire après une journée de travail.»

On peut ainsi dire adieu aux formulaires d’admission, aux frais d’inscription, aux examens et autres travaux de fin de session, mais se retrouver tout de même entre amis, autour d’un verre, pour réfléchir à l’état des démocraties contemporaines, au devenir des arts ou à l’expérience du désir. Le contenu et la forme des cours (entièrement gratuits) sont conçus pour que tout le monde y trouve son compte – y compris ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans une université, précise Eve-Lyne Couturier. «Il s’agit d’un échange, d’un partage de connaissances et de réflexions et non pas d’une transmission unilatérale de savoirs. Une place très importante est accordée aux questions, à la discussion et à la participation active du public.»

Mixité sociale: le défi

Un savoir peut être vulgarisé, accessible, convivial même, mais qui résiste cependant à toute forme de nivellement par le bas. « Nous croyons qu’il faut faire confiance à l’intelligence des gens et ne surtout pas les prendre pour des imbéciles. Ce qui m’a toujours frustrée, c’était d’entendre certaines personnes dire que l’université n’était pas pour elles parce qu’elles n’étaient pas assez intelligentes. L’université devrait être pour ceux qui veulent apprendre et comprendre le monde, et pas seulement pour une soi-disant élite intellectuelle », souligne la coordonnatrice de l’UPop, qui est aussi chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).

À l’heure où nos institutions d’enseignement supérieur semblent souvent renoncer à cette mission pour privilégier une logique économique de rentabilisation des savoirs, l’UPop entend combler cette lacune et devenir l’un de ces espaces publics d’éducation et de réflexion ouverts aux citoyens «de tous les milieux socioéconomiques ». Le défi est de taille. Il suffit de se rendre à l’un des cours offerts par l’UPop pour le constater : le public est pour l’instant très homogène, essentiellement composé… d’universitaires et d’«intellectuels».

«Il est vrai que nous n’avons pas encore atteint le degré de mixité sociale souhaité, reconnaît Eve- Lyne Couturier. Mais nous faisons le pari qu’en mettant sur pied des activités de qualité et une organisation solide, nous allons réussir à élargir progressivement notre public et à attirer des gens qui, autrement, ne s’intéresseraient pas à ce genre d’activités.»

Nouveau souffle pour une idée déjà ancienne

Si l’UPop en est ici à ses débuts, le concept d’université populaire (UP) est quant à lui beaucoup plus ancien, plusieurs en attribuant la paternité à un pasteur danois de la fin de 19e siècle, Nicolai Grundtvig. À la même époque, c’est dans le contexte social explosif de l’affaire Dreyfus que sont créées les premières UP françaises, à l’initiative d’ouvriers qui souhaitaient lutter contre la montée de l’antisémitisme par la diffusion de la culture et l’éducation. Le mouvement, qui s’est certes essoufflé à plusieurs reprises au cours du 20e siècle, connaît depuis une dizaine d’années un important regain de vie. Non seulement les UP se multiplient et s’organisent en réseaux, mais le mouvement tend aussi à s’internationaliser.

Le philosophe français Michel Onfray a beaucoup contribué à ce renouveau. En 2002, dans la commotion provoquée par la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles françaises, il a créé la désormais célèbre UP de Caen, croyant qu’une « démocratisation de la culture et des savoirs » pourrait contribuer à freiner l’extrême droite et favoriser la création de nouveaux espaces de résistance citoyenne.

Dynamiser l’espace public

Au Québec, le contexte social et politique semble aussi avoir joué un rôle dans la création de la nouvelle UP. « Les projets comme l’UPop constituent sans doute une réponse au déficit démocratique observé notamment à travers les scandales politiques, mais aussi dans la dépolitisation de la population et son désengagement de l’espace public, affirme Eve-Lyne Couturier. Avec l’UPop, nous voulons contribuer à revitaliser l’espace public, en offrant un lieu de réflexion et de débat sur les grands enjeux du monde contemporain.»

La programmation d’hiver vient d’être lancée. Les cours, qui étaient jusqu’ici axés sur les sciences humaines et la philosophie, iront en se diversifiant, promettent les organisateurs. Par exemple, deux des cours de la session d’hiver aborderont des thèmes liés aux sciences de la nature.

Le public est également toujours invité à proposer – et organiser – de nouvelles activités, à la seule condition qu’elles respectent les grands principes fondateurs de l’UPop. «Et on encourage les gens de l’UdeM à nous rejoindre dans l’aventure!» ajoute Eve-Lyne Couturier. C’est que les «udemiens» semblent se faire plutôt discrets jusqu’ici. L’appel est donc lancé.

www.upopmontreal.com

Michel Onfray, La communauté philosophique. Manifeste pour l’Université populaire, Galilée, 2004.