Culture

La foule en délire devant le spectacle de la FAÉCUM, en septembre 2014.

Ouïe, ça siffle

« Je suis allé voir un spectacle de musique rock en novembre dernier, et des acouphènes se sont déclenchés une semaine après, raconte l’étudiant à la maîtrise en audiologie Simon Millette. Ça ressemblait à un sifflement, perçu par les deux oreilles, et tout le temps présent. »

Pour Simon, ce spectacle est la seule explication à ces acouphènes. « Le son était particulièrement fort, la salle était petite et je n’avais pas le choix d’être proche des haut-parleurs », poursuit-il. En tant qu’étudiant en audiologie sensibilisé au problème des acouphènes, il a pourtant toujours fait attention à ne pas s’exposer à des sons trop forts. 

« L’acouphène est un son qu’on entend sans qu’il y ait de signal acoustique, explique la présidente de l’organisme d’entraide Acouphènes Québec et professeure titulaire à l’École d’orthophonie et d’audiologie de la Faculté de médecine de l’UdeM, Sylvie Hébert. C’est un son fantôme perçu par les oreilles. » Selon elle, il est évident que les niveaux de bruit dans certains concerts, de rock par exemple, mais aussi en discothèque, se situent au-delà des normes sécuritaires*.

Lorsque des acouphènes se déclenchent, ceux-ci ont la particularité d’être irréversibles. « En tant qu’étudiant en audiologie, je savais que ces acouphènes dureraient toujours, explique Simon. J’étais assez tendu et stressé, surtout qu’ils se sont déclenchés pendant une période d’examens. »

Se concentrer et s’endormir devient particulièrement difficile lorsque l’on perçoit un sifflement permanent dans les deux oreilles, confie l’étudiant. « Afin de m’aider à me concentrer, j’ai commencé à mettre des écouteurs, pour avoir un bruit de fond », dit-il. Simon s’estime aujourd’hui chanceux, car le sifflement qu’il perçoit a perdu en intensité au fil des mois.

Des étudiants avertis ?

La gestion sonore du spectacle de la rentrée de la FAÉCUM est laissée entre les mains d’une équipe professionnelle, explique le secrétaire général de la FAÉCUM, Nicolas Lavallée. « Lors de précédentes éditions du spectacle de la rentrée de la FAÉCUM, nous avons déjà remarqué que certains étudiants portaient des bouchons », assure-t-il.

La FAÉCUM n’a jamais reçu de plaintes d’étudiants au sujet d’acouphènes, assure le secrétaire général. « Si nous en recevions une, nous pourrions avoir des directives pour sensibiliser les étudiants à ce risque », ajoute-t-il.

Le professeur de formation pratique adjoint à l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’UdeM Ronald Choquette estime quant à lui que les organisateurs de festivals et de concerts « sont coincés entre l’arbre et l’écorce » face à ce problème. « Ils vont dire que oui, il y a un certain risque, mais en même temps ce sont des hommes d’affaires, donc ce n’est pas évident, croit-il. Quand tu es dans le milieu culturel, il faut que tu offres ce que la clientèle demande. »

D’après Mme Hébert, il peut être difficile de réaliser ce que représente ce mal invisible. « De la prévention est faite, mais je pense qu’elle est insuffisante, souligne la professeure. Quand on n’a jamais eu de pertes auditives, on ne sait pas ce que c’est. C’est difficile de s’imaginer ça quand on est jeune. »

Comme Mme Hébert, Simon croit que la prévention au sujet des acouphènes est actuellement insuffisante. « Je pense que les gens ne sont pas vraiment sensibilisés », déplore-t-il. Il rappelle pourtant qu’il n’existe aucun médicament pour guérir des acouphènes.

*Normes sécuritaires précisées dans l’entrevue avec M. Ronald Choquette

 

 

Entrevue avec le docteur en audiologie Ronald Choquette

Propos recueillis par Camille Dufétel

Quartier Libre : À partir de combien de décibels existe-t-il un risque de développer un acouphène ?

Ronald Choquette : Si l’on regarde la vraie norme sécuritaire, ça devrait être environ 80 dB maximum pour 8 heures d’écoute. Et chaque fois que l’on dépasse cette norme de 5 dB, on doit diviser le temps par deux. Par exemple, pour 85 dB, c’est un maximum de 4 heures. Si l’on dépasse ça, il y a des risques de développer des problèmes auditifs, dont des acouphènes.  

Q. L. : Est-ce qu’en général cette norme de 80 dB est dépassée lorsque l’on assiste à un concert ?

R. C. : Oui, c’est largement dépassé. Ce que j’ai lu dernièrement quand il y a eu le débat sur le voisinage, c’est que souvent, dans les contrats des groupes, il faut que le son soit au moins à 100 ou à 105 dB. Donc ça dépasse déjà de 20 à 25 dB.

Q. L. : Sommes-nous tous égaux face à cela ?

R. C. : Ça, c’est un des gros débats que l’on a. Il semble y avoir des personnes plus sensibles aux problèmes d’audition que d’autres, mais par rapport aux acouphènes ce n’est pas vraiment démontré.

Q. L. : Et le fait d’avoir une bonne audition ou encore d’être jeune nous garantit-il que l’on n’aura jamais d’acouphène ?

R. C. : On dit souvent qu’un acouphène est causé par une surdité. Mais il y a des personnes qui ont une surdité et qui n’ont pas d’acouphène, et d’autres personnes n’ont pas de surdité et ont un acouphène. J’ai des clients qui vont consulter pour un acouphène et qui ont pourtant une très bonne audition.

Quand tu es jeune, tu te penses un peu invincible, donc tu fais moins attention, tu prends plus de risques et il y a donc de nombreux cas d’acouphènes. L’utilisation des baladeurs et le fait que l’on vive dans un monde de plus en plus bruyant font qu’il va y avoir probablement une épidémie de personnes avec des problèmes d’audition. Dans certains bars, il faut presque crier pour s’entendre. Quand il faut crier pour pouvoir parler à quelqu’un, ça veut dire que le bruit est trop fort.

Q. L. : Est-ce qu’un acouphène se soigne ?

R. C. : Non, ça ne se répare pas. On ne peut pas enlever la perception de l’acouphène au patient, même si on peut quand même essayer de faire en sorte que l’acouphène devienne moins dérangeant. Certaines personnes vivent très bien avec, mais d’autres en viennent à être dépressives. J’ai toujours dit à mes étudiants que je ne leur souhaitais pas une surdité, mais que je leur souhaitais encore moins un acouphène.

Q. L. : Est-ce que les jeunes sont assez sensibilisés au problème des acouphènes ?

R. C. : Non. C’est un mal invisible, et on pense que c’est un problème de personnes âgées. Pourtant, en nombre absolu, il y a plus de personnes âgées de moins de 65 ans qui ont des problèmes d’audition que de personnes plus âgées, parce que tout le monde travaille dans le bruit.

Le bruit a d’ailleurs beaucoup d’autres effets sur l’être humain, comme l’augmentation du rythme cardiaque et de la tension artérielle. Si on est tout le temps exposé au bruit, ça peut occasionner des problèmes de santé chronique. La pollution sonore sera, je pense, un grand enjeu de société dans quelques années.

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