Volume 18

Orthorexie ou quand le régime santé vire à la « freaktitude »

Bbbbvvvvvvvvvuuuuummmm BBBBVVVVVVUUUUUMMMM ! ! ! Dans mon rêve, un maniaque essaie de me déchiqueter avec une tondeuse géante. Dans la réalité, ma coloc se prépare un jus de betteraves-carottes-épinards-graines de lin. Il est 6 h du matin. Le bruit du robot culinaire masque mon langage digne du Capitaine Haddock.

Je me lève. Direction, la cafetière. Ma coloc s’oppose : «Le café, c’est mauvais pour les reins.» Je m’assois tout de même à la table avec mon café et une toast au beurre d’arachides Kraft, qu’elle fixe comme s’il s’agissait d’une arme de destruction massive. «T’as pas idée des dommages que le sel, le sucre et l’huile peuvent causer à ta santé ?!» Elle récite : «Hausse de la pression artérielle, diabète, problèmes cardiovasculaires.» J’essaie un faible: «Chacun ses goûts.» Sans succès. Elle prend un air supérieur pour discourir sur l’importance des aliments santé. Le bout d’épinard entre ses dents lui enlève un peu de crédibilité. Ça, et le fait que son régime se limite, depuis trois semaines, à du jus de légumes (bio, bien sûr).

Ça tombe sur l’estomac

Après quelques bouchées de toast, je m’enferme dans ma chambre. Ce cours de nutrition m’est tombé sur l’estomac plus qu’un pot complet de beurre d’arachides. Comment ma coloc a-t-elle pu se transformer en gourou de l’alimentation saine ? J’allume la radio pour me changer les idées. Mon plan est contrecarré par un médecin spécialisé dans les troubles alimentaires. Ce dernier prononce le mot : « orthorexie ». Il explique : « Il s’agit d’une obsession malsaine pour la nourriture saine.» Je lève le volume : « Au contraire des anorexiques, obnubilés par la quantité de nourriture, les orthorexiques recherchent la qualité des aliments. Au point où ça devient nocif pour la santé. Pire, l’orthorexique ne retire aucun plaisir à manger.» Tiens, tiens !

À la rescousse de la santé mentale

Je me retrouve sur Google à taper «orthorexie». Je lis sur Wikipédia que la communauté scientifique est mitigée par rapport à ce trouble alimentaire, faute de recherche suffisante. Puis, je tombe sur le test de Steven Bratman, qui a défini le concept d’orthorexie. Il consiste en une série de dix questions. Si on répond par l’affirmative à plus de quatre questions, on souffre sans doute d’orthorexie. Je me mets dans la peau de ma coloc un instant. Trois «oui» plus tard, je décide d’agir avant que la situation n’empire.

Dans la cuisine, ma coloc m’annonce qu’elle se sent trop mal pour assister à son cours. «J’ai bu de l’eau du robinet puisqu’il ne me restait plus d’eau de source. Le chlore est tellement nocif.» Je me lance : «C’est plutôt parce que tu ne manges pas assez.» Ma réplique la pique au vif. «Ce n’est pas tout le monde qui veut se tuer à petit feu, comme toi, avec un régime de poutines, de bières et de crèmes glacées!», me lance-t-elle. Je reste calme : «C’est vrai. Je devrais faire plus attention; consommer plus de fruits et légumes et moins d’aliments gras. Et toi, il faut que tu manges davantage ! » Je vois dans ses yeux un début de prise de conscience. J’en profite pour lui proposer de trouver des solutions ensemble.

Saines et sauves

J’appelle au Centre de santé et de consultation psychologique (CSCP) de l’Université de Montréal pour prendre rendez-vous. Nous rencontrerons Amélie Sabourin, une nutritionniste-diététiste. Il n’en coûte que 15 $ pour une heure, puisque nous cotisons aux Services aux étudiants. Au téléphone, on m’apprend que la spécialiste pourra nous donner des conseils, des recettes, des références en psychologie si besoin, ainsi que des outils pour un régime plus sain et équilibré.

Six mois plus tard, grâce aux consultations avec la nutritionniste et au suivi d’un psychologue, ma coloc a retrouvé le plaisir de manger et un régime plus équilibré. Et moi, je profite de mes grasses matinées, sans être réveillée par la cacophonie du robot culinaire. Puis, je m’assois à la table, avec un fruit et une toast au beurre d’arachides naturel.

Je remercie Amélie Sabourin de m’avoir accordé une interview, qui m’a inspiré cette histoire. Les personnages de cette chronique sont fictifs, toute ressemblance avec la réalité serait le fruit du hasard. Les faits, eux, sont bien réels.

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