Des taux d’intérêt faibles, un capital important à ne rembourser qu’après la fin des études : les marges de crédit proposées par les banques peuvent sembler alléchantes aux yeux d’étudiants qui se demandent comment financer leurs études… à condition de faire partie des heureux élus et d’éviter le piège du surendettement. Deuxième volet d’un panorama des largesses – limitées – des banques envers les étudiants.
Hassan (prénom fictif) a récemment terminé un doctorat en génie à l’École de technologie supérieure (ÉTS). «Cela aurait été difficile de faire mon doctorat sans marge de crédit, j’aurais été obligé de travailler davantage», reconnaît-il sans détour. Une expérience qui s’est bien déroulée pour lui, car n’ayant pas utilisé sa marge de crédit de 50000 $ au complet, il a pu la rembourser avant même la fin de ses études.
Cela n’a pas été le cas pour Philippe (prénom fictif), un ami de Hassan. Étudiant comme lui à l’ÉTS, il a contracté un prêt aux études de 40000 $ et a obtenu une marge de crédit de 45 000 $. Ne réussissant pas à trouver un emploi, il a utilisé sa marge de crédit comme revenu. Avec près de 100000 $ de dettes, la situation est devenue incontrôlable, bien qu’il ait fini par trouver du travail. Philippe a été obligé de déclarer faillite pour voir sa dette effacée, une tache qui restera à son dossier de crédit pendant sept ans.
Selon Sylvain Lafrenière, président de l’Union des consommateurs et conseiller budgétaire à l’Association coopérative d’économie familiale (ACEF) du Nord de Montréal, le recours aux marges de crédit est en hausse. Selon lui, ce phénomène est préoccupant, dans la mesure où «même en étudiant le droit, ce n’est plus automatique aujourd’hui d’avoir une bonne job après l’université».
Il faut dire que, sur papier, les marges de crédit ont tout pour plaire : des montants que l’on peut commencer à rembourser jusqu’à un an après la fin des études – seuls les intérêts sont remboursés pendant les études –, des taux d’intérêt plus avantageux que ceux des cartes de crédit (de 4,5 à 5 % contre 19 %) et des fonds facilement accessibles à partir de son compte personnel.
Pas pour tout le monde
Mais tous ne sont pas égaux devant les marges de crédit. Les institutions financières sont plus enclines à les accorder à un étudiant en maîtrise ou en doctorat qu’à un étudiant au baccalauréat.
Surtout, ceux inscrits dans des programme s qui offrent l es meilleures perspectives de salaire se voient octroyer plus facilement des marges de crédit plus importantes.
À la Banque Royale du Canada (RBC), un étudiant au second cycle peut disposer d’une marge de crédit allant jusqu’à 48000 $ pour la durée de ses études, un étudiant en droit ou en pharmacie peut obtenir jusqu’à 80000 $, et ce montant peut aller jusqu’à 150000 $ pour un futur médecin ou dentiste. Toutefois, «l’étudiant doit consulter son banquier pour lui exposer sa situation, ses besoins et ses perspectives, car il y a toujours une marge de manoeuvre possible », précise Raymond Chouinard, directeur des relations avec les médias pour la RBC.
Attention, surendettement
Sur les 37 % d’étudiants qui sont endettés auprès d’une institution financière (toutes formes d’endettement confondues), plus de la moitié le sont pour moins de 5000 $, 11 % pour un montant supérieur à 25000 $ et certains pour plus de 45000 ou 50000 $, selon la Fédération étudiante universitaire du Québec.
Des sommes qui peuvent se révéler difficiles à rembourser, notamment si les étudiants ne réussissent pas à bien gérer leur argent ou si des imprévus surviennent. Et dans ce cas, les conséquences peuvent être lourdes et mener à la faillite personnelle.
Face à l’endettement croissant, les étudiants, ne sont plus les seuls à demander des marges de crédit. «Ce qui nous inquiète, c’est de voir de plus en plus de parents qui s’endettent pour contribuer au financement des études de leurs enfants», constate Sylvain Lafrenière.
Pour une meilleure information
Si les cartes de crédit sont aujourd’hui mieux comprises qu’auparavant, il reste encore du chemin à faire pour que les étudiants soient bien conscients de ce que les marges de crédit impliquent. «Comme les taux d’intérêt sont assez bas, j’entends souvent des étudiants qui disent : “je ne paye pas tant que ça par mois”. Oui, mais depuis quand et pour combien de temps?», s’interroge M. Lafrenière.
Il déplore également la vision trompeuse donnée par les banques « qui présentent les marges de crédit comme une façon de vivre pendant les études». Le rapport de la FEUQ pointe d’ailleurs du doigt le fait que les institutions financières mettent en avant l’aspect facile des marges de crédit, sans en expliciter les coûts et les conséquences. Le rapport dénonce le fait qu’une banque présente son programme sous l’appellation « fonds de roulement » et non de marge de crédit.
«On souhaite que les étudiants restent des clients avec une vie financière équilibrée. On n’a aucun intérêt à encourager l’endettement outre mesure, tempère M. Chouinard. On a toujours à l’oeil le risque du surendettement, car tout le monde est perdant quand il y a faillite, l’emprunteur comme le prêteur.» Le gouvernement du Québec a déposé l’an dernier un projet de loi pour limiter le surendettement.
Il prévoit notamment d’interdire la fausse représentation, comme la prétention selon laquelle le crédit serait une solution pour améliorer la situation financière d’un particulier.
Une mesure qui vise à limiter les situations comme celles de Philippe, qui devra traîner pendant sept ans les lourdes conséquences de sa faillite personnelle.