Volume 23

Illustration: David Lévi

Notre vote vaut plus qu’une bière cheap

Un tout inclus à Cuba pour les fêtes, une photo de hockeyeur dénudé ou de danseuse en petite tenue, au choix, et une pinte de blonde américaine avec ça. En échange, on vous demande une simple promesse : un petit vote de rien du tout. Promo bonus : 25% de rabais au magasin de votre choix si vous avez suivi au moins un débat durant la campagne électorale.

Des clichés suggestifs, de l’alcool et des rabais pour un acte citoyen aussi élémentaire : faut-il lire en ces offres de l’humour? De la maladresse? Du désespoir? Un peu de tout ça à la fois, sans doute. C’est pourtant une réalité. Actuellement. Au Canada.

Si vous étudiez à l’Université de Regina, en Saskatchewan, et que vous promettez à votre association étudiante de voter aux élections fédérales, celle-ci vous offrira un rabais de 5 $ pour un repas. L’association proposait au départ une bière contre cet engagement, mais selon Ici Radio-Canada, son président aurait depuis « changé son fusil d’épaule ». Toujours est-il qu’on en est rendus là.

Depuis le 6 octobre dernier, sur Instagram, les organisatrices de la campagne #slutsagainstharper (salopes contre Harper) promettent quant à elles aux électeurs qu’ils recevront un cliché érotique s’ils prouvent qu’ils ont voté*.

Dire que ces actions demeurent louables car elles incitent au vote est grossier. Pas de « Si cela a poussé quelques personnes à aller voter, c’est déjà ça de gagné ! » qui tienne.

Car aujourd’hui, si l’abstentionnisme des jeunes Canadiens représente selon l’Institut du Nouveau Monde (INM) « le suicide politique d’une génération », s’il atteint des « niveaux dramatiques », il demeure qu’un vote ne s’achète pas, pas plus que sa promesse, d’ailleurs.

Un vote ne s’achète pas… légalement, pour commencer. Selon la section 481 de la Loi électorale du Canada, « Commet une infraction quiconque, pendant la période électorale, offre un pot-de-vin, directement ou indirectement, en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter ou à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné. »

Il ne s’achète pas non plus… au prix de biens issus tout droit de notre société de consommation effrénée. Le processus de vote implique justement de prendre du recul par rapport à notre système, ce qui rend la démarche particulièrement incohérente. Pourquoi ne pas proposer aux étudiants un concours de selfies sur les bureaux de vote, tant qu’on y est ? Avec une pochette surprise pour la meilleure bouche en cul-de-poule ?

Définitivement, non, un vote ne s’achète pas. Mais il vaut bien plus qu’un 5 $ ou qu’une bière cheap ! « Comment réussir à entrer en communication avec ces extraterrestres de jeunes ? Ils sont pauvres, on va leur payer un peu moins de la moitié d’un repas universitaire. Ils aiment boire, ils ne seront pas contre une pinte de bière ! » On ne peut pas déplorer que le vote des jeunes soit en chute libre depuis 30 ans et en venir à leur donner des nananes pour qu’ils se rendent aux urnes.

Ce vote vaut bien plus que ça. Il vaut un cours obligatoire d’éducation civique durant le secondaire. Il vaut des initiatives louables telles que les activités d’information organisées sur de nombreux campus à travers le Canada par les associations étudiantes. Il vaut l’organisation d’un débat fédéral, comme celui qui a eu lieu le 13 octobre à l’UdeM pour aborder des enjeux concernant les étudiants.

Il vaut le #1erVote lancé par Ici Radio-Canada, qui certes utilise les codes des jeunes en passant par Instagram, mais qui vise à faire entendre leur voix et à élever le débat. Les jeunes électeurs votant pour la première fois sont invités à faire part d’un enjeu qui leur tient à cœur dans une vidéo. Une belle idée quand on sait que le vote initial** est passé de 70 % dans les années 1970 à 34 % depuis le début des années 2000, selon l’INM.

Il vaut aussi – et largement – l’implantation de bureaux de vote sur plusieurs campus, à l’instar du projet pilote d’Élections Canada, qui a réuni plus de 3 000 électeurs du 5 au 8 octobre à l’UdeM (p. 4).

Entre la carotte et les coups de fouet – le vote obligatoire –, une vaste étendue d’initiatives existe déjà, mais doit continuer à fleurir. Ce n’est pas le moment d’abdiquer en tombant dans l’un ou l’autre des deux extrêmes. La sonnette d’alarme est tirée et n’en finira peut-être plus de résonner quand le taux de participation des jeunes aux élections fédérales 2015 sera connu (en espérant que non…).

En plus des initiatives étudiantes et médiatiques dans la vulgarisation de l’information, le gouvernement doit réagir et redoubler d’efforts pour réveiller sa jeune génération. Au-delà du niqab.

*D’après tvanouvelles.ca
**Participation des jeunes qui votent pour la première fois

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