Nomades contemporains

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Par Nayla Rida
mercredi 11 avril 2018
Nomades contemporains
Parmi les TCK célèbres, on retrouve l'ancien président américain Barack Obama, né d'un père kenyan et d'un mère américaine, parti vivre en Indonésie étant enfant. (Crédit photo : Romeo Mocafico)
Parmi les TCK célèbres, on retrouve l'ancien président américain Barack Obama, né d'un père kenyan et d'un mère américaine, parti vivre en Indonésie étant enfant. (Crédit photo : Romeo Mocafico)
La sociologue Ruth Van Reken définit les Third Culture Kids (TCK) comme étant des personnes ayant grandi dans un ou des pays autres que ceux dont leurs parents sont originaires. Rencontre avec une étudiante issue de cette diversité culturelle.

Quand on lui demande d’où elle vient, l’étudiante française au certificat en journalisme Marie Blot* répond généralement qu’elle est française, mais qu’elle a grandi au Maroc. « Je m’y identifie plus, déclare-t-elle. Je ne pense pas que je serais la même si j’avais grandi en France et c’est ce qu’on s’imaginerait sans la précision. »

Ce mélange de cultures a facilité les études de Marie. « J’ai la chance de pouvoir étudier en plusieurs langues, apprécie-t-elle. J’ai aussi fait une école de communication en espagnol. »

Marie a vécu dix ans au Maroc puis quelques années en France, en Espagne, au Portugal et maintenant au Canada. Elle recommande aux personnes qui ont un parcours comparable au sien de ne pas rester dans une bulle d’expatriés, où ils pourraient se priver de ce que la culture d’accueil peut leur offrir. « Ici, je connais plusieurs Français qui n’ont que des amis français », fait-elle remarquer.

Le vécu migratoire

Le professeur au Département de communication sociale et publique spécialisé en communication interculturelle à l’UQAM Christian Agboli explique que le processus migratoire transforme l’individu. « À partir du moment où l’on quitte sa société d’origine, on perd ses repères et certaines valeurs, précise-t-il. On fait face à de nouveaux défis pour comprendre sa société d’accueil. »

M. Agboli compare les deux réactions possibles de l’expatrié envers sa société d’accueil aux deux réactions types, celles de l’introverti et de l’extraverti, devant la question : « Que faire ce soir : aller à une fête ou écouter une série télé ? » La première option suggère une ouverture à l’autre ; la seconde, le goût de la familiarité. « Si l’on a soi-même développé un intérêt pour l’autre, le lien va se développer davantage », déclare-t-il. Selon lui, certains jeunes confrontés à l’immigration répétée choisissent toutefois de ne pas s’intégrer à leur nouveau pays parce qu’ils savent qu’ils devront de toute façon le quitter bientôt.

Les traits particuliers

Les différences que Marie relève chez les TCK qu’elle connaît sont l’aisance à aborder autrui, la moindre appréhension du changement et la résistance au stress. « Moi, par exemple, j’ai apprivoisé le changement et c’est parfois même plutôt la routine qui m’angoisse », témoigne-t-elle. Elle remarque aussi que les TCK sont moins déstabilisés par les différences culturelles.

Selon elle, l’expérience des voyages et la découverte de cultures différentes ouvrent l’esprit, permettent de voir un même évènement sous des perspectives culturelles multiples et aident à passer d’un regard national à international. « Tu découvres aussi la passion qu’il y a dans chaque pays et c’est souvent très beau, ajoute Marie. Par exemple, je viens de vivre la crise en Catalogne et c’était très touchant de voir les gens se battre pour leur identité et leur nation. J’étais dans une des rues où tout se passait. »

Le revers de la médaille

Pour le professeur et directeur du Département d’anthropologie de l’UdeM, Guy Lanoue, les frontières culturelles dans le monde deviennent de plus en plus floues. Cela causerait des sentiments d’aliénation, de solitude et de nostalgie excessive. Les codes culturels de la société d’accueil ne sont pas taillés dans la pierre, donc l’expatrié ne sait plus exactement comment s’adapter.

Marie indique qu’un choc culturel inversé est toujours possible. « Lorsque j’habitais en France, il m’est arrivé de ne pas me sentir chez moi dans mon propre pays, car je n’avais pas eu l’habitude d’y vivre, et ça, c’est terrible », témoigne-t-elle. Elle cite aussi l’inconvénient de ne pas vraiment avoir de chez-soi, c’est-à-dire d’endroit où les souvenirs se sont accumulés depuis l’enfance. « Je rêve de connaître mon boucher et mon poissonnier », plaisante-t-elle. Elle cite aussi comme inconvénient la distance avec les amis qu’elle a laissés ailleurs.

L’importance de la formation

Comme l’école est une source de structure, et même davantage que l’État, selon M. Lanoue, les expatriés ayant passé quelques années de scolarité dans leur pays d’accueil s’y intègreraient mieux. « Le milieu de travail de nos jours est souvent vu comme un lieu d’intimité, indique-t-il. C’est là où les personnes passent la majorité de leur temps, selon la sociologue Arlie Hochschild. Cela signifie que l’immigrant qui arrive dans un milieu de travail sans la socialisation de l’école se trouve dans un milieu où une forme d’intimité est déjà construite. Il est un intrus. »

Le directeur rappelle que, parfois, à la suite d’un déménagement, nos atouts deviennent mal adaptés à la société d’accueil. Par exemple, en Europe, le statut est basé autant sur l’héritage que sur les réalisations personnelles. Au Canada, les réalisations personnelles sont davantage prises en compte.

* La journaliste étudie dans le même programme que cette intervenante.