Les comités logement tirent la sonnette d’alarme. Avec la spéculation immobilière qui fait exploser le prix des condos dans les quartiers centraux de Montréal, de plus en plus de propriétaires cherchent à récupérer leurs logements loués pour les revendre. Outre les reprises d’appartement abusives, la diminution du parc locatif pousse les loyers et les exigences des propriétaires bailleurs à la hausse. Un durcissement du marché dont les jeunes et les étudiants sont les premières victimes.
«Sur six locataires, M. Côté a pu en déloger trois avec des menaces verbales, des coups de téléphone, du harcèlement moral et de l’argent », raconte Sylvie Lapointe, jeune cinéaste locataire sur la rue Garnier. « Grâce à l’enregistrement des conversations téléphoniques et à notre moral toujours haut, nous avons pu porter notre dossier jusqu’à la Régie et prouver qu’il était de mauvaise foi, ajoute-t-elle. M. Côté s’est finalement désisté.»
« M. Côté, un multimillionnaire, nous a même fait croire qu’il reprenait nos appartements pour y faire vivre sa fille qui n’avait soi-disant plus d’endroit où aller », poursuit Sylvie Lapointe. Le moratoire de 1975 protège normalement les locataires de ce genre de situation, en interdisant la conversion des logements locatifs en condos, sauf dans certains cas très précis. Mais les avis d’éviction ou de reprise de logement se multiplient sous des prétextes comme, autre exemple, des rénovations majeures dans l’immeuble.
« De plus en plus de propriétaires guidés par l’appât du gain n’hésitent pas à tout faire pour contourner ce moratoire afin d’expulser les locataires et ainsi créer des condos pour les vendre », explique Paule Lespérance, organisatrice communautaire au Comité logement du Plateau Mont-Royal.
Ce phénomène est particulièrement répandu dans les arrondissements du Plateau Mont-Royal et de Rosemont-La Petite-Patrie. Face à la multiplication des abus, le Comité logement a déposé une motion au conseil d’arrondissement le 3 octobre.
Tensions
« La conversion des logements locatifs en copropriétés bouscule le principe de l’offre et la demande », explique Paule Lespérance .« Certains des loyers autour des immeubles convertis en condos sont passés de 600 $ à 1200 $ en très peu de temps à cause de la diminution du parc locatif, ajoute-t-elle. Des quartiers très convoités comme Le Plateau connaissent une vraie crise du logement locatif. » Les jeunes, les étudiants et les ménages à revenu modeste sont bien évidemment les premières victimes de la hausse des prix. Les propriétaires des logements locatifs restants profitent également de la forte demande pour formuler des exigences abusives. De plus en plus souvent, ils réclament des cautions normalement interdites par la Régie du logement, un garant ou des documents confidentiels.
Marien Joly, 26 ans, a dû renoncer en août à la location d’un appartement dans l’arrondissement Rosemont- La Petite-Patrie, car « mon futur propriétaire me demandait trois mois de loyer en cash en plus du premier mois, et tout ça, avant de signer le bail. » Un total de 4500 $ pour que le propriétaire « se sente rassuré ». En plus de la caution, Marien Joly a subi un « harcèlement continuel pendant trois semaines où le propriétaire appelait et posait constamment les mêmes questions pour s’assurer de notre fiabilité. Il a même vérifié mon passeport et mes visas. » Ne désirant pas commencer sa relation avec son propriétaire dans de mauvais termes, le jeune homme a décidé d’abandonner la location du logement plutôt que de faire appel à la Régie du logement.
Jeanne Marquet, une Française en programme d’échange d’études qui a emménagé à Montréal le 26 août 2010, a été forcée de payer 500 $ de caution pour le mois en cours, 500 $ pour le mois de septembre ainsi que 500 $ pour le dernier mois inscrit au bail. « À mon installation, j’ai donc dépensé 1500 $ pour le logement. On a même insisté en me menaçant de porter l’affaire au tribunal si je ne coopérais pas. » La Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) et l’Association des propriétaires du Québec (APQ) nient avoir eu connaissance de telles pratiques illégales et assurent que « dans toutes les situations, la Régie du logement protège obligatoirement le locataire quoi qu’il se passe. » La CORPIQ, Paule Lespérance ainsi que Sylvie Lapointe conviennent cependant que lorsque l’on est victime d’abus « il est nécessaire de s’adresser au Comité logement de son quartier ainsi qu’à la Régie du logement et de s’informer de ses droits et de ceux du propriétaire. »