Montreal’s night of terror : le jour où les chauffeurs de taxi ont embrasé la ville

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Par Romeo Mocafico
jeudi 8 octobre 2020
Montreal’s night of terror : le jour où les chauffeurs de taxi ont embrasé la ville
Des autobus de Murray-Hill ont été incendiés et envoyés contre le bâtiment de la compagnie. Crédit: Getty Images
Des autobus de Murray-Hill ont été incendiés et envoyés contre le bâtiment de la compagnie. Crédit: Getty Images

Il y a 51 ans, le 7 octobre 1969, Montréal a connu l’une des émeutes les plus violentes de son histoire. Plusieurs groupes sociaux revendicatifs, menés par les chauffeurs de taxi, ont profité d’une grève générale des policiers pour embraser la ville. Le sociologue et professeur à l’Université Concordia Jean-Philippe Warren nous décrit les faits et les enjeux de l’événement, que l’on nomme également la « Montreal’s night of terror ».


Quartier Libre : Dans quel contexte s’est déclenchée cette émeute ?

Jean-Philippe Warren : Le 7 octobre 1969 se négociait la convention collective des policiers de Montréal. Ces derniers avaient de nombreuses revendications. Par frustration, ils ont voté de manière impromptue une grève générale. Le soir même, plus personne ne patrouillait dans les rues.

La même journée, les chauffeurs de taxi de Montréal revendiquaient également. Parmi ceux-là, un groupe, le Mouvement de libération du taxi, a décidé d’appuyer les policiers de Montréal dans leur lutte. Ils se sont donné rendez-vous rapidement grâce aux radios qu’ils avaient dans leurs voitures.


D’autres groupes se sont également greffés : quelques étudiants; quelques motards, comme le groupe des « Popeyes » ; les Chevaliers de l’indépendance, un groupuscule indépendantiste très revendicateur. Ils avaient le même combat, qui était celui de tous les opprimés, de tous les écrasés de la société. Les chauffeurs de taxi se  considéraient comme les victimes d’un système injuste.

Q.L. : Où se sont-ils rassemblés ?

J-P.W. : Ils se sont réunis devant l’Hôtel de Ville. Face à ses portes closes, et en l’absence de policiers, ils en ont profité pour faire du grabuge. Il n’y avait personne pour les arrêter. Puis, toujours menés par les taxis, ils se sont dirigés vers l’objet quasi unanime de leur détestation, le garage de la compagnie de transport concurrente Murray-Hill, qui avait un garage dans Griffintown.

Murray Hill détenait l’exclusivité du ramassage des clients de l’aéroport de Montréal. En 1945, l’aéroport comptait 250 000 visiteurs et en 1967, c’était 5 millions de visiteurs. En voyant le nombre de clients de l’aéroport augmenter, la frustration est montée chez les chauffeurs de taxi, et ils ont décidé de se révolter pour mettre un terme au monopole de Murray-Hill.

Q.L. : Comment ce rassemblement est-il devenu une émeute ?

J-P.W. : Les chauffeurs de taxi ont commencé à lancer des briques et des cocktails Molotov. Des pompiers et des policiers de la sureté du Québec étaient là, mais se sont fait refouler. Les journalistes et les photographes ont aussi été menacés. À la fin, il restait environ 300 manifestants. Les plus enragés des enragés, parmi les 12 000 chauffeurs de taxi de l’époque.

C’est une guerre qu’ils étaient en train de mener, à la Murray-Hill. C’était le temps pour eux de faire purger à la Murray-Hill tous les crimes réels ou supposés que la compagnie avait commis. Ils ont enflammé des autobus et les ont envoyés contre le garage où se trouvaient des centaines et des centaines de gallons d’essence, une vraie bombe. Tous les employés étaient assiégés à l’intérieur. C’est un miracle que la bâtisse n’ait pas explosé.

À cet instant, le gérant de Murray-Hill a ordonné aux gardiens de la compagnie de monter sur le toit et de canarder la foule. Ils ont commencé à se mitrailler de part et d’autre. Le caporal Dumas, un agent infiltré de la sureté du Québec, a été tué. Douze personnes ont également été blessées assez gravement. On a compté des centaines de milliers de dollars de dommages.

Finalement, l’armée a été appelée en renfort, avec l’appui de la sureté du Québec. Celle-ci a réussi à les faire sortir de Griffintown, et les manifestants ont évacué ce qui leur restait de rage dans le Centre-ville et sur la rue Sainte-Catherine, en pillant des magasins et en brisant les vitres de voitures.

Q.L. : Qu’est-ce qui a rendu cette émeute exceptionnelle ?

J-P.W. : Cette émeute ne porte pas une place particulière dans l’Histoire. Personne ne s’en souvient, mais elle reste importante, car c’est un moment de cristallisation pour la radicalisation des luttes politiques.

C’est surtout une émeute qui est unique par son caractère spectaculaire : une petite portion d’un groupe particulièrement frustré s’est enflammée à un moment propice à une telle explosion. C’est le contexte qui est inouï, avec l’absence de police. Aujourd’hui, en 2020, on ne peut pas s’imaginer avoir une journée comme celle-là.

Q.L. : Est-ce la plus grosse émeute qu’ait connue Montréal ?

J-P.W. : Non, je ne pense pas. C’est une émeute gravissime, surtout car il y a eu un mort par tirs de carabine. Mais le Québec a connu d’autres émeutes. En fait, cela dépend surtout du critère que l’on prend pour mesurer.

Je peux citer, par exemple, l’émeute raciale à l’Université Sir-George-Williams [aujourd’hui Concordia, NDLR], qui n’a fait aucune victime, mais qui compte plus de dommages matériels. À Québec, en 1918, pendant la conscription, l’armée a tiré sur foule, tuant des manifestants. Pareil à Montréal en 1824, où l’armée a canardé la foule lors de la fameuse émeute des patriotes, faisant trois morts. Le « samedi de la matraque » de 1964 et le « lundi de la matraque » de 1968 sont aussi deux émeutes qui ont beaucoup plus marqué les esprits.

Q.L. : En quoi chauffeur de taxi était-il un statut particulier à l’époque ?

J-P.W. : Les taxis représentaient l’un des groupes les plus endurcis de la société québécoise de l’époque. Ils étaient très axés sur l’importance de la virilité, sur le fait d’être tough, d’où l’image du « cowboy de la route » qu’on en garde. Être chauffeur de taxi, c’était occuper une position vraiment particulière au sein de la société des années 1960. C’était un métier ingrat, où l’on a avait un statut de servilité, en bas de l’échelle sociale. On était aussi amené à côtoyer les populations riches, qui formaient la principale clientèle des taxis à l’époque.

À ce moment-là, les taxis représentaient un incubateur particulièrement fécond pour ce genre de radicalisation. D’ailleurs, beaucoup de personnes qui ont participé plus tard aux actions du Front de libération du Québec (FLQ) ont être recrutées dans les rangs des chauffeurs de taxi, comme Marc Carbonneau et Jacques Lanctôt.

Q.L. : Quelles conséquences ont eu ces émeutes sur la situation des chauffeurs de Montréal ?

J-P.W. : Elles ont eu des conséquences immédiates. Des réformes ont été mises en place dans les semaines suivantes, et dès décembre 1969, le monopole de Murray Hill à l’aéroport est partiellement tombé. C’est en septembre 1970 que l’aéroport s’est complètement ouvert aux chauffeurs de taxi. Ces derniers ont continué malgré tout à revendiquer dans les années suivantes, mais leur frustration est moins grande qu’en 1969.