Mon rap d’amour

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Par Justin D. Freeman
mercredi 8 décembre 2010
Mon rap d'amour

À l’origine, je comptais vous raconter la petite histoire de la musique de film pornographique – vous décrypter les ressorts de l’excitation par voie auriculaire –, et par là même vous donner l’envie d’écouter un « film de cul » au sens premier du terme. Seulement voilà : étant donné que les gonzo* et autres POV** ont fait main basse sur le marché, je voyais mal comment vous présenter autre chose que des « shut up bitch and ride this dick ».

Quartier Libre s’offre un numéro spécial amour et c’est probablement la seule occasion que je n’aurai jamais de chanter la sérénade à la deuxième femme de ma vie (juste après maman). C’est le moment ou jamais de prendre mon courage à deux mains pour tout vous dévoiler. Du haut de sa trentaine d’années bien tassées, ma belle n’est peut-être plus tout à fait de première jeunesse, soit. Mais quel charme! L’un de mes amis vantait son parfum il y a plus d’une décennie déjà… et je peux vous assurer qu’elle n’a pas perdu de sa superbe.

Sensible, sensée et sans compromis, elle est d’une personnalité complexe et sait s’y prendre pour vous retourner un homme… À ses côtés, j’aurai tout appris des sentiments ; de l’amour à la haine en passant par l’amertume et la frustration, elle a toujours su trouver les mots, les bons.

Si l’on s’étreint passionnément, des jours et des nuits durant, on peut tout aussi facilement se brouiller. Dans ce cas, je vais voir ailleurs… et elle aussi j’imagine. Pour le moment, on n’en parle pas vraiment ; jusqu’à présent, on s’est toujours retrouvé. Quoi qu’il en soit, elle m’aime quand je lui ouvre mes oreilles, mon esprit et mon coeur, car elle sait que «beaucoup l’écoutent mais que peu la comprennent». Son amour est sans doute un peu narcissique, mais elle peut m’instrumentaliser autant qu’elle le désire : aucune autre n’arrivera jamais à sa cheville.

Je fais profil bas face à son verbe nourri et je courbe l’échine devant son impressionnante culture, mais je lui serai éternellement reconnaissant de m’avoir fait découvrir Aretha Franklin et Betty Wright, Miles Davis et James Brown, Dusty Springfield et The Temptations, Archie Shepp et Cesaria Evora, Mike Brant et Charles Aznavour***, Blink 182 et Supertramp, Chris de Burgh et Galt MacDermot, Daft Punk et DJ Medhi… Pour faire simple, disons seulement qu’elle m’a ouvert les yeux sur la richesse musicale du monde.

Elle m’obsède, me fascine, me possède. C’est à elle que je dois mes dernières larmes et j’ose espérer qu’elle sera toujours à mes côtés le jour de mon dernier soupir. Elle me berce du café au coucher, de mes cavalcades en métro à mes embardées en auto, le compteur bien callé autour de ses 90 BPM de prédilection. « Elle » a aussi un nom et celui-ci se dévoile sous un rétroacronyme fleuri : Rhythm And Poetry (rap).

*Gonzo Porn : Le qualificatif est apparu en 1989 aux États-Unis en référence au journalisme gonzo. Ce genre de pornographie ultrasubjective a l’avantage de ne pas demander de scénario : le sexe s’y suffit généralement à lui-même. Visuellement, le résultat est souvent digne d’un reportage de guerre : mauvais gros plans, tremblements de la caméra tenue « au poing»… Le genre n’a qu’un seul avantage : il ne coûte, pour ainsi dire, « rien » à produire.

**POV : Littéralement Point of View : la caméra fait office d’yeux de substitution. Grâce à ce genre de vidéo pornographique, n’importe quel nerd boutonneux peut désormais se projeter dans le rôle de l’éphèbe dominateur aux râles virils.

*** Charles Aznavour a prêté son flow au single de Kery James À l’ombre du showbusiness, commentant : «Il faut que le rap varie ses thèmes, qu’il arrive à dire autre chose que la révolte et la protestation. »