Il n’est pas rare de rencontrer des professeurs populaires à l’UdeM. La simple mention de leur nom alimente des discussions sans fin, et les étudiants se précipitent pour assister à leurs cours sans même y être inscrits. Quartier Libre s’est intéressé à quatre de ces enseignants.
Le professeur de droit international Daniel Turp croit que c’est avant tout l’étendue des compétences d’un professeur qui est déterminante pour sa popularité. Toutefois, selon l’étudiant en droit Marc-Antoine Couet, M. Turp est une vedette parce qu’il s’implique aussi dans des regroupements qui retiennent l’attention des médias, comme Équipe Kyoto ou le Rassemblement pour la sauvegarde du1420, boulevard Mont-Royal.
Daniel Turp estime qu’il est important d’être constamment à la recherche d’approches visant à susciter l’intérêt pour la matière enseignée. « Contrairement à la plupart des professeurs de droit, Daniel Turp laisse de côté l’enseignement purement magistral en favorisant la participation des élèves, atteste Marc-Antoine. Il accorde une très grande place à l’actualité. » Daniel Turp porte une attention particulière à la réussite scolaire de ses étudiants. « Je dis toujours : “Votre réussite sera la mienne”», affirme-t-il.
Le cours de Luce
Luce Beaudet est professeure à la Faculté de musique où elle enseigne notamment l’analyse du discours harmonique tonal, un cours qu’elle a développé pendant plus de 40 ans. Mme Beaudet s’est bâti une réputation qui va au-delà des murs de l’UdeM.
« Le cours de Luce, c’est l’une des premières choses dont on entend parler lorsqu’on entre comme nouvel étudiant à la Faculté, raconte le titulaire d’une maîtrise en composition Vincent Laurin-Pratte. On entend dire que c’est un cours tellement formateur, mais épouvantablement exigeant!» Aujourd’hui, devenu lui-même chargé de cours à l’UdeM, où il enseigne l’harmonie tonale, Vincent Pratte avoue s’inspirer grandement de la pédagogie de son ancienne professeure.
Selon lui, Luce Beaudet a réussi le tour de force de rendre intéressante l’analyse musicale, habituellement peu populaire chez les étudiants débutants.
La clé du succès ? Un modèle théorique peu orthodoxe, qui stimule davantage les réflexes d’analyse. « Le modèle qu’on nous enseigne à utiliser pour analyser les symphonies de Mozart se heurte rapidement à la réalité où l’on constate que pratiquement aucune de ces symphonies ne s’y conforme parfaitement, explique Vincent Laurin-Pratte. Le modèle théorique de Luce, quant à lui, se concentre exclusivement sur les harmonies et cherche à expliquer de quelle manière les compositeurs ont généralement organisé le discours musical. »
L’amour de la littérature
Écrivaine renommée au Québec, Catherine Mavrikakis est professeure au Département des littératures de langue française où elle enseigne la création littéraire et l’écriture dramatique.
« J’essaie de montrer un certain amour de la littérature et de la pensée critique», affirme-t-elle. « Elle n’a pas de tabous : elle peut traiter de violence et d’horreur, aussi bien que d’humour ou d’engagement », témoigne Jacques*, un étudiant en littérature qui souligne aussi la capacité de Mme Mavrikakis à adopter une approche individualisée envers les étudiants, ainsi que sa vivacité d’esprit et ses qualités humaines.
Catherine Mavrikakis est consciente que beaucoup d’étudiants choisissent son cours en raison de sa réputation d’écrivaine reconnue. Cependant, elle ne se prend jamais en exemple pendant les ateliers d’écriture.
Tandis que la majorité des autres professeurs se contentent d’aborder la littérature sous ses aspects théoriques, Catherine Mavrikakis met l’accent sur les problèmes que l’on peut rencontrer lors du processus de création littéraire. Pendant ses cours, elle met de l’avant des oeuvres contemporaines pour donner aux étudiants des exemples d’écrivains auprès desquels ils doivent tailler leur place.
Déconstruire les concepts
Rendu célèbre grâce à son ouvrage Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique et la saga judiciaire qui en a découlé, le professeur de philosophie Alain Deneault enseigne la pensée politique critique. « Son cours est une séance intensive d’apprentissage de trois heures durant laquelle il personnifie à lui seul le stéréotype de l’intellectuel de gauche blasé, mais qui résiste en propageant la pensée critique », soutient l’étudiant en science politique Nicolas Lavallée.
Alain Deneault est de ceux qui ressentent un réel malaise devant la popularité des intellectuels. « Les cours sont l’affaire de ceux et de celles qui y assistent, tout comme les livres sont l’oeuvre d’un lectorat, explique-t-il. La “reconnaissance” consiste pour un public à se reconnaître lui-même dans la proposition d’autrui. »
Selon certains étudiants, la pensée de Deneault n’avance aucun dogme, mais se base sur des propositions, c’est-à-dire des explications possibles du réel qui n’ont pas la prétention d’être exclusives. « De nombreux professeurs d’université croient détenir la vérité, et ne veulent pas admettre qu’ils ne sont pas certains des réponses aux questions qu’on leur pose, déplore Catherine*, une étudiante en science politique. M. Deneault n’utilise pas cette approche, ce qui aurait été bien décevant pour un professeur de pensée critique! » Nicolas Lavallée précise qu’Alain Deneault apprend aux étudiants à remettre en question les prémisses de différents concepts et à les déconstruire.
* Jacques et Catherine n’ont pas souhaité dévoiler leur nom de famille.