« Il faut savoir jouir de tout ce qui est permis sans scrupule, et s’en passer aussi sans douleur. […] Les plaisirs fatiguent plus que les affaires. […] Les plaisirs qui durent trop ennuient. […] Je suis née en Suède. […] Je suis Christine de Suède.»
– Christine de Suède (Kristina Vasa)
Je suis née en Suède, sur un lit de draps de flanelle. Wilhem est né en Pologne, là où « celui qui demande qu’on lui rase la barbe ne doit pas se fâcher si on l’égratigne(1) ». Priit est né aux Pays-Bas, là où«celui qui veut manger des oeufs doit supporter le caquet des poules (2) ». Gina est née en Italie, là où « il faut laisser gratter là où est la gale(3)! »David est né dans le Monde juif, là où « de toute façon, c’est toujours la cruche qui souffre (4)!» Johnny est né aux États-Unis, là où «rien n’est plus logique que la persécution », là où « la tolérance religieuse est une sorte de manque de fois (5) ». Yeng-Wang-Yeh est née en Chine, là où il y a le mur.
Nous sommes tous à Montréal, là où il y a des fleurs en hiver. Septembre bat son plein. Les feuilles des arbres sont vertes, ici. Priit cuisine un curieux couscous marocain; ça sent bizarre dans l’appartement. Priit n’est pas dépourvu de créativité culinaire, mais il tend à souffrir de dyslexie alimentaire au sens large. Il confond le sel et le poivre, le poivron et la tomate, le chaudron et l’assiette.
– N’oublie pas de faire revenir les oignons dans l’huile d’argan ! scande Gina, les yeux larmoyants.
Gina est affectée par des allergies saisonnières. Le corps secoué par des éternuements de force 31, elle ressemble à un arbre victime de tremblements de terre et de vents de guerre. Elle faitpitié, mais elle est maquillée.
Il paraît que l’huile d’argan, dite vertueuse, est utilisée par les femmes berbères depuis des siècles pour se régénérer la peau, se fortifier les cheveux et se protéger du soleil et du vent. Il semble aussi que l’huile d’argan et ses dérivés cosmétiques soient devenus, au Québec, l’objet d’un intérêt croissant de la part des consommateurs.
Pendant que je songe, Johnny met repas sur table.
– Sale consommatrice ! lance Yeng-Wang-Yeh, qui pense manifestement comme moi, à retardement.
– ¡ Buen provecho ! chante Wilhem, faisant battre quelques rares cils pour Gina.
Wilhem ne s’aperçoit jamais qu’il confond son latin (Gina ne saisit rien à l’espagnol, elle ne fait que dans l’ultramontain). Le couscous de Priit me titille la narine sans m’exciter les papilles. Je prends une gorgée de vin de miel. Tiens, la porte d’entrée qui claque. Voilà Jean, qui arrive de l’Apocalypse du Monde biblique.
– As-tu fait bon voyage ? demande David.
Jean a trop faim pour répondre. Il tremble. Il plane. Il s’empiffre de la main droite, en disant : «Puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche (6).»
C’est vrai qu’il manque de mordant, ce couscous.
– Ras-le-bol de votre pseudo multiculturalisme gastronomique, dis-je. Demain, ce sera du pâté chinois.
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(1) Boleslaw Prus, La poupée
(2) Hendrik Laurensz Spieghel, Le Miroir du coeur
(3) Dante, Le paradis
(4) Talmud: «Si la pierre tombe sur la cruche, malheur à la cruche ! Si la cruche tombe sur la pierre, malheur à la cruche ! De toute façon, c’est toujours la cruche qui souffre !»
(5) Ambrose Bierce, Dictionnaire du diable
(6) Saint Jean, Apocalypse.
PÂTÉ CHINOIS DE CHRIS (dit le Déni Végétarien)
Le principe consiste à trancher, cuire et mélanger les ingrédients de chaque étage de façon logique, judicieuse et esthétique. Le dégradé de couleurs entre les étages doit être agréable au regard. Donne quatre portions.
Étage 1 (le brun)
½ oignon et ses 2 gousses d’ail
1 tasse de lentilles sèches
2 saucisses merguez
Huile d’olive
Épices berbères
Fromage (cheddar fort et mozzarella : agent
de liaison)
Étage 2 (le jaune)
6 épis de blé d’Inde du Québec (dépourvus de
tignasse et de carcasse)
Étage 3 (le blanc)
6 patates pilées (nouvelles/sucrées)
Fromage reggiano
Dernier étage (le rouge)
4 tomates fraîches
