Lors d’un party, un collègue me présente un de ses amis : un bel homme, intelligent, cultivé et gentil. Bref, tout semble parfait jusqu’à ce que j’apprenne, au détour d’une conversation, qu’il est «déchétarien », c’est-à-dire qu’il se nourrit exclusivement de nourriture jetée à la poubelle par les magasins d’alimentation (Note à moi-même : On essaie encore de me matcher avec un weirdo!). J’avale alors une grosse gorgée de vin et lui demande s’il trouve bien tous ses nutriments et vitamines dans les poubelles. Mon regard part déjà à la recherche d’une autre personne, sexy si possible, mais surtout, saine d’esprit.
Remarquant sans doute mon désintérêt et ma — ô combien subtile — pointe de sarcasme, il entreprend de me convaincre du bien-fondé de sa démarche. «C’est fou toute la nourriture gaspillée, lance-t-il. Les supermarchés jettent la bouffe une semaine avant la date d’expiration. À peu près la moitié de ce qui est jeté est encore comestible !» (Voix intérieure : Au moins, c’est parce qu’il est un écolo anticapitaliste et non un cheap.) Quand même, pour être bien certaine, je le confronte : «Mais si tu étais vraiment riche, disons que tu hérites d’une grand-mère millionnaire, tu continuerais à fouiller dans les poubelles ? Ou bien tu irais dans les restos cinq étoiles ? » Il me donne la réponse attendue (un point pour lui) : «Comme je suis déchétarien pour des raisons politiques et environnementales, oui, je continuerais, c’est clair !»
Bizarrement, je commence à m’intéresser à son histoire. Peut-être que mon esprit journalistique prend le dessus sur ma chasse à l’homme, mais j’écoute la suite d’une oreille attentive. «C’est fou ce que je peux trouver : du bon pain, des pâtisseries, des sacs de farine, des conserves de légumineuses, des fruits et légumes impeccables, etc. » Ici, je le coupe: «Donc tu ne manges pas la viande ou le fromage que tu trouves ?» Il m’explique : « La plupart des déchétariens sont aussi végétariens au départ. En plus, comme les poubelles ne sont pas réfrigérées, disons qu’il faut éviter ces produits.»
Je lui demande s’il y a de meilleures poubelles à Montréal, comme il y a de meilleures tables. Insensible à ma pointe d’ironie, il s’empare alors de son iPad (malheureusement pas trouvé dans une poubelle) pour me montrer un site (trashwiki.org) sur lequel sont répertoriées les meilleures poubelles des grandes villes. En complément, on trouve des cartes et de l’information, comme les aliments disponibles selon le jour. Si je me fie à Google, New York serait le paradis des déchétariens, ou freegans en anglais. À Montréal, mon nouvel ami vante les poubelles du marché Atwater. Il fait aussi de belles trouvailles dans celles des petites épiceries de fruits et légumes sur le Plateau et dans le Mile-End. Paraît-il que les poubelles du marché Jean-Talon sont très populaires, voire trop.
Est-ce son enthousiasme ou le vin qui me monte à la tête ? Je me surprends à le bombarder de questions. Et l’hygiène ? «La plupart du temps, ça va, les aliments sont emballés. Je fais bien attention pour choisir des aliments comestibles. Quand ils ne sont pas emballés, je les lave très bien avant de les manger. Aussi, je fais bouillir la plupart de mes légumes.» J’imagine que les commerçants ne tripent pas trop, non ? «Certains sont fâchés parce qu’ils voudraient que les gens paient pour leurs produits. Pour la plupart, c’est correct, s’il n’y a pas de dégâts autour des poubelles.» Et ça ne te tente pas parfois : le panier d’épicerie, les aliments frais à portée de la main, le sourire de la caissière ? «En fait, c’est vrai que c’est difficile et que ça prend plus de temps que faire l’épicerie. Par contre, c’est vraiment plus le fun ! C’est une aventure à chaque fois.»
Bon là je trouve qu’il exagère quand même. T’en mets pas un peu là? «C’est vrai, j’apporte ma lampe de poche, je mets des grosses bottes, des vêtements imperméables, puis je plonge dans la poubelle. Ensuite, je reviens chez moi content et quand je cuisine, je n’ai pas le choix d’être créatif, en fonction de mes trouvailles.» Et ça ne te gêne pas? «Non, pas du tout, parce que je me bats comme ça contre le gaspillage dû à la surconsommation. Par contre, je préfère y aller avec quelqu’un. Tu m’accompagnes un jour?» Son air charmant prend le dessus sur mon hésitation. Oui, pourquoi pas!
J’imagine déjà le romantisme de la situation : «Chérie, passons à la poubelle !»
Cette chronique fictive s’inspire d’une interview avec Micheala Holt, une vraie déchétarienne.