Militer : bon pour le CV ?

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Par Camille Feireisen
lundi 13 avril 2015
Militer : bon pour le CV ?
Léo Bureau-Blouin, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) lors du printemps 2012, a profité de son expérience militante pour se lancer en politique avec le Parti Québécois.
Léo Bureau-Blouin, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) lors du printemps 2012, a profité de son expérience militante pour se lancer en politique avec le Parti Québécois.
Neuf étudiants de l’UQAM risquent d’être expulsés pour avoir participé à des activités de perturbation. Pour eux, les actions de protestation ont un goût amer. Si militer comporte des risques, cela peut-il nuire à l’entrée sur le marché de l’emploi ?

Militer, c’est participer de manière active à la vie d’un parti politique, d’une association ou d’un syndicat. « Il est important de faire la différence entre le fait de militer au sein d’une association pour défendre des valeurs communes et commettre des actes de vandalisme punis par la loi », rappelle la professeure adjointe en gestion des ressources humaines à l’École de relations industrielles de l’UdeM, Émilie Genin.

Militer pour montrer son implication citoyenne permettrait de développer des compétences de leadership, selon Mme Genin. « Les étudiants qui militent dans des associations apprennent à prendre la parole en public et se constituent un réseau de contacts, explique-t-elle. Ce sont des aptitudes qui sont valorisées par certains employeurs. » Pour devenir conseiller syndical ou pour travailler dans des organisations à but non lucratif, s’investir dans la vie associative de son université pourrait donc être bénéfique.

Selon l’ancien président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et porte-parole du Printemps 2012, Léo Bureau-Blouin, le militantisme constitue une expérience humaine et professionnalisante.« L’implica­tion étudiante permet de connaître ses forces et ses limites, ce qui est un grand atout au travail, juge-t-il.Comme représentant étudiant, on doit travailler en équipe, gérer un budget, gérer un échéancier et livrer des résultats. J’ai appris à travailler dans un contexte très stressant et à bien comprendre l’environnement médiatique québécois. »

L’école de la politique

Pour le professeur titulaire au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit de l’UdeM Pierre Trudel, l’université est aussi la période propice pour acquérir de l’expérience. « Les personnes très investies dans le militantisme étudiant ont souvent joué des rôles importants dans la vie politique, rappelle le professeur. On les retrouve souvent dans des activités à caractère public et, dans cette mesure, il est rare que ces personnes souffrent de leur visibilité médiatique. » L’ancienpremier ministre québécois Daniel Johnson père, par exemple, a d’abord été président de l’Asso­ciation des étudiants de l’UdeM. L’ancien premier ministre du Québec Bernard Landry a quant à lui été président de l’Association des étudiantes et étudiants en droit de l’UdeM.

Étudiant en droit à l’Université Laval, Léo Bureau-Blouin est devenu président du comité national des jeunes péquistes. C’est aux côtés de ses camarades qu’il a réalisé les conséquences de la politique et l’importance de se mobiliser très tôt. « Un cégep ou une université est une microsociété, et les associations étudiantes ressemblent à des syndicats ou à des microgouvernements », juge Léo Bureau-Blouin.

Des lois contre la discrimination

Selon les articles 10, 16 et 18 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, il est interdit de discriminer un candidat à l’embauche en raison de ses idées politiques. Pour le chargé de cours à la Faculté de droit de l’UdeM Frédéric Bérard, le militantisme étudiant ne pose donc pas de problème pour accéder à l’emploi, à moins d’avoir violé le Code criminel.« Si l’on est reconnu comme casseur, cela va poser problème et être inscrit dans le casier judiciaire, note-t-il. Mais sinon, mis à part d’éventuelles contraventions pour infractions aux règlements municipaux, il n’y a pas de traces dans le casier. »

En outre, une entreprise n’a pas l’obligation de vérifier les antécédents judiciaires de ses futurs employés. « Une grande entreprise a les moyens de vérifier, mais une petite société sans service de ressources humaines n’aura pas forcément l’idée de le faire », rapporte madame Genin.

Pour l’étudiant menacé d’expulsion par l’UQAM, Samuel Cossette, la décision que prendra l’université à son égard pourrait avoir des impacts sur sa carrière. « Les dangers sont ceux que l’UQAM fait planer : perte de diplôme, retard au niveau des études, du parcours professionnel… les impacts d’une expulsion sont extrêmement graves et l’UQAM ne semble pas du tout prendre cela en considération », estime-t-il.

Une protection… en théorie

Si en théorie un employeur n’a pas le droit de demander les opinions politiques ou l’engagement militant d’un futur employé, en pratique, la visibilité donnée par les manifestations peut s’avérer problématique. Émilie Genin note qu’une fois embauché par un syndicat, il devient plus difficile de se réorienter vers le privé. « Le risque, c’est d’être étiqueté d’un certain côté et pas de celui du patronat », précise-t-elle.

Toutefois, il n’est pas nécessaire de détailler chaque période de son parcours sur son CV, et la discrétion peut parfois s’avérer utile, selon Émilie Genin. « Si on postule pour entrer dans un grand cabinet d’avocats et qu’on juge qu’avoir milité risque d’être problématique, on ne va pas le noter dans notre CV », mentionne-t-elle.

Même s’il convient que les risques pour son futur sont bien présents, Samuel Cossette ne regrette pas son implication dans les activités militantes qui le mèneront peut-être à l’expulsion. « Je suis d’avis que les apports personnels du militantisme, “l’école de la vie” que cela propose, sont de loin supérieurs aux inconvénients que cela peut apporter », juge-t-il.

Sur ce point, Mme Genin et Léo Bureau-Blouin sont du même avis : avoir le sentiment qu’on fait partie d’une communauté serait extrêmement gratifiant faisant contrepoids à toutes les critiques qu’il est possible de recevoir.

Expulsions à l’UQAM

Neuf étudiants de l’UQAM sont menacés d’expulsion après avoir participé à des activités de perturbation sur le campus et avoir commis « du vandalisme et des actes illégaux », fait valoir la direction de l’UQAM. Six de ces étudiants font face à une suspension d’une année. Les trois autres, dont Justine Boulanger, qui siège au conseil d’administration et au comité exécutif de l’UQAM, risquent l’expulsion définitive de l’établissement.