MIL et une façons d’embourgeoiser un quartier

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Par Louis-Philip Pontbriand
lundi 2 septembre 2019
MIL et une façons d’embourgeoiser un quartier
Une rampe de chargement fait office de terrasse, à l'extérieur du bar Alexandraplatz. (Crédits Louis-Philip Pontbriand)
Une rampe de chargement fait office de terrasse, à l'extérieur du bar Alexandraplatz. (Crédits Louis-Philip Pontbriand)
L’implantation du Campus MIL aux confins d’Outremont est en voie d’alimenter l’embourgeoisement des quartiers avoisinants, préviennent des experts en urbanisme de l’UdeM. Conséquence indirecte de cette arrivée, le bar Alexandraplatz, symbole du Mile-Ex, devra mettre la clé sous la porte au terme d’un huitième été dans le quartier.

Dans le Mile-Ex, le bar-terrasse Alexandraplatz opère chaque été depuis 2012 dans un garage appartenant à la Brasserie BVM, sur une rampe bétonnée jouxtant l’édifice. Le président de la brasserie, George Fountotos, a récemment informé la direction que son bail de location ne serait pas renouvelé l’année prochaine. Le bar fermera définitivement ses portes le 28 septembre.

L’effet transformateur du MIL

« Le campus MIL est certainement l’un des moteurs de changement du quartier », annonce le professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’UdeM Sylvain Paquette. En revanche, il explique que la fermeture de l’Alexandraplatz est anecdotique par rapport aux transformations que vit actuellement le secteur. « Cet embourgeoisement est bien réel dans le Mile-Ex, et il risque de toucher encore plus durement le quartier Parc-Extension, étant donné l’importance de la fonction résidentielle de ce dernier », poursuit-il.

Le doyen de la Faculté de l’aménagement de l’UdeM, Raphaël Fischler, apporte d’autres précisions. « L’arrivée du Campus MIL est susceptible d’accélérer et d’approfondir le processus de changement en cours depuis un certain temps, observe-t-il. Le bar Alexandraplatz est une victime de ce changement, mais il en a aussi été un acteur. »

AlexandraplatzLa terrasse du bar, située dans la cour d’un édifice appartenant à la Brasserie BVM.

 

 Comme son collègue, M. Fischler s’intéresse plus largement à la transformation des quartiers. « Ce qui est plus inquiétant, c’est l’impact de la croissance des populations de travailleurs du high-tech, d’étudiants et de chercheurs sur Parc-Extension », précise-t-il. Il s’agit, d’après lui, d’un quartier d’absorption et d’intégration de nombreux ménages immigrants. « Si Outremont, le Mile-Ex et la Petite Patrie ne peuvent les accueillir, ils se tourneront vers Parc-Extension et pourraient mettre en péril le rôle de ce quartier dans l’absorption d’une partie de l’immigration internationale à Montréal », assure-t-il.

Si un tel scénario paraît inévitable pour M. Paquette, ce dernier considère que l’on doit essayer d’en atténuer les conséquences sur les populations les plus à risque d’être délocalisées. « Les quartiers se transforment continuellement, c’est le cas de la plupart des quartiers ouvriers de Montréal depuis des décennies, et le Mile-Ex n’y échappe pas, explique-t-il. Il importe maintenant d’accompagner cette transition afin d’offrir aux populations les plus vulnérables la possibilité de rester dans le quartier et de profiter de son effervescence. »

 Une « tarentule »

Pour certains clients et employés de l’Alexandraplatz, le mal est déjà fait. « Ce n’est pas remplaçable : c’est un endroit unique », observe une amie des copropriétaires du bar, Stephanie, près du BBQ sur la terrasse.

Alexandraplatz2
Stephanie gère le BBQ sur la terrasse du bar pour un premier (et dernier) été.

 

« C’est comme une tarentule qui a avalé le Plateau et le Mile-End, déplore un réalisateur de films du quartier Marconi-Alexandra, Émile Lavoie. Maintenant, la gentrification vient manger le Mile-Ex à son tour. »

Assis à ses côtés, son ami Jean-François Sauvé, lui aussi réalisateur, abonde dans le même sens. « Le quartier est désormais super investi par les firmes d’intelligence artificielle, comme Microsoft, qui débarquera bientôt juste à côté d’ici, se désole-t-il. Les endroits créatifs comme celui-ci se font passer dessus par les lois du marché. »

Alexandraplatz3

Les réalisateurs Émile Lavoie (à gauche) et Jean-François Sauvé font état d’une « supergentrification » du quartier Mile-Ex. « Le côté artistique de ces endroits les rend fragiles », dit Jean-François.