Mets vite de la glace !

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Par Laurent Perreault
lundi 2 décembre 2013
Mets vite de la glace !

À chaque numéro, Quartier Libre offre la chance à un de ses journalistes d’écrire une nouvelle de 500 mots sur un thème imposé. Le thème de ce numéro est: commotion  

Il gueule très fort. Autour de moi, tout le monde se fige et le fixe silencieusement. Mon joli manteau devient la triste cible de ses postillons furieux. L’un d’eux fait déborder le vase.

Je réplique.

Seulement, voyez-vous, je n’ai jamais été très habile avec les mots. Ni d’un tempérament pondéré.

Je vise tout d’abord la gorge d’Adam. Sous l’impact, il en perd son couvre-chef. Les spectateurs réagissent: certains sont choqués, d’autres acquiescent subrepticement de la tête, comme soulagés par l’interruption des cris de celui dont l’empreinte de mes jointures rend la respiration difficile.

Sur la patinoire, les joueurs cessent de poursuivre la rondelle.

Je retire mes gants et agrippe sa tête vigoureusement. Adam retrouve son souffle. Je le soulève brusquement et le secoue. Ses gémissements sont enterrés par le bruit macabre des vertèbres qui se disloquent. Nos regards se croisent. Des larmes d’hémoglobine dégoulinent de ses yeux terrifiés.

Je resserre ma prise et plante mes ongles acérés dans le creux de son épiderme. Les cris d’Adam doublent de volume lorsque j’enfonce mes deux auriculaires et perce ses tympans.

Un autre cri parvient à mes oreilles. Plus aigu. Plus enfantin. C’est le fils, de l’autre côté de la baie vitrée. Adam lui offre un piètre spectacle, me dis-je. J’insère mes pouces dans son interstice buccal et tire sur les commissures. Afin qu’il garde un brin de dignité devant sa progéniture. Un sourire forcé, mais un sourire craquant. Un sourire fendu jusqu’aux oreilles.

La sirène retentit : c’est l’entracte. Je lâche Adam, qui, dans sa chute, se casse une côte. Quel maladroit !

Je me dirige vers le casse-croûte de l’aréna. Une brave femme, témoin incrédule des récents évènements, fait mine de se lever pour porter secours à l’homme au visage déconfit. Sans m’arrêter, je la fusille du regard. Elle repose son derrière sur l’inconfortable siège en plastique.

Au comptoir du casse-croûte, je demande de la manière la plus courtoise «un Gatorade», car je dois faire le plein d’électrolytes. L’aride et grise préposée n’éructe qu’un soupir typique de ceux allergiques à l’effort. Après de sincères remerciements, j’engloutis la boisson bleue et retourne à mon mouton.

Il gît au même endroit. Avant qu’il n’ait eu le temps de se relever – je ne sais même pas s’il en a la force –, je me jette sur lui et le mitraille de coups de poing, de coups de pied, de coups de coude et de genou. Le tout ponctué de diverses remarques impolies au sujet de sa mère, de ses enfants, de ses sourcils.

Le temps passe, les coups ne cessent jamais.

À un point tel que les gens perdent intérêt et se tournent vers la patinoire ; la partie de hockey novice B reprend là où on l’avait interrompue.

Le fils d’Adam marque un but.