« Même la laideur doit être belle »

icone Societe
Par Virginie Chaloux
mercredi 28 octobre 2015
« Même la laideur doit être belle »
Crédit Photo: Marie-Claude Légaré.
Crédit Photo: Marie-Claude Légaré.
En 2014, l’industrie liée aux déguisements, que ce soit pour l’Halloween ou d’autres cérémonies, a généré des revenus de près de 48 millions de dollars au Canada*. Quartier Libre s’est intéressé aux critères des étudiants pour choisir leurs costumes à l’occasion de la fête des Morts... entre peur et séduction.
« Ce sont des costumes de Saint-Valloween ! »
Michel Dorais - Professeur à l’École de service social de l’Université Laval et sociologue de la sexualité

En collaboration avec Camille Feireisen

« Je mentirais si je disais que mes amies et moi ne nous sommes jamais déguisées en chat sexy, en Blanche-Neige sexy, etc., indique l’étudiante au baccalauréat en gestion et design de la mode à l’UQAM Clémence Ouellette, qui choisit chaque année son costume d’Halloween en pensant à l’image qu’elle souhaite renvoyer. On dirait que la game de séduction change le soir d’Halloween, c’est comme un gros roleplay et tout le monde embarque un peu dans le jeu. »

L’étudiant à la maîtrise en criminologie à l’UdeM Alexandre Desjardins déplore pour sa part les stéréotypes de genre véhiculés par les costumes d’Halloween. « Je considère que les costumes sont sexistes, car ce sont des habits faits pour que les femmes mettent en valeur et en évidence leurs attraits physiques, pointe-t-il. C’est toujours infirmière sexy, sorcière sexy… Je trouve ça assez navrant. »

Le professeur à l’École de service social de l’Université Laval et sociologue de la sexualité, également auteur de La sexualité spectacle, Michel Dorais, remarque que les costumes sont séparés en deux catégories dans les magasins. « D’un côté, les costumes de princesses qui mettent l’accent sur la délicatesse et la fragilité avec beaucoup de rose et de l’autre côté, des costumes de superhéros avec beaucoup de muscles et de pectoraux, du noir, du brun et du vert foncé, des couleurs violentes, décrit-il. Nous sommes dans une société où l’on essaie de combattre des stéréotypes sans nier pour autant qu’il y a du féminin et du masculin. Mais quand arrive Halloween, on dirait que les archétypes reviennent en force. »

Une nouvelle image d’Halloween

Pourtant, la fête d’Halloween n’a pas toujours eu cette réputation, d’après le professeur. « Pendant longtemps, les gens se déguisaient en fantômes, en revenants, comme le veut la tradition de la fête des Morts, rappelle-t-il. Le costume devait faire peur et il n’était pas question d’être séduisant. » La fête d’Halloween serait ainsi confondue, de plus en plus, avec celle de la Saint-Valentin selon M. Dorais. « Ce sont des costumes de Saint-Valloween ! », ironise-t-il.

Il estime également que les séries télévisées ont changé le regard que l’on porte sur les vampires et les loups-garous. « La peur et la séduction sont rapprochées aujourd’hui, souligne-t-il. Les films de peur sont aussi plus axés sur la séduction […] Même la laideur doit être belle. » Les réseaux sociaux et le foisonnement d’images que l’on trouve jouent aussi un rôle dans ce nouveau phénomène, selon le sociologue. « On montre des photos de nous, dénudés parfois ; nous sommes une société de la séduction et de l’image », explique-t-il.

Selon l’enseignante au Département d’études littéraires à l’UQAM et spécialiste en études féministes, Martine Delvaux, les adultes ont au moins la possibilité de choisir leurs costumes, à l’inverse des enfants qui deviendraient ainsi plus facilement vecteurs de sexisme. « Leurs corps deviennent l’écran sur lequel les stéréotypes sont projetés, affirme-t-elle. […] Quand les costumes commerciaux d’Halloween et les choix des gens qui les portent changeront et qu’ils cesseront de reproduire des stéréotypes sexuels et de genre, peut-être que ce sera le signe qu’on est passé à autre chose ! »

Séduire ou s’amuser ?

Malgré cela, à l’instar d’un carnaval, la nuit d’Halloween permet surtout de sortir des conventions et de s’amuser, selon Clémence. « Je me considère comme une féministe et je ne me gêne pas pour répliquer lorsqu’on me fait un commentaire sexiste, assure-t-elle. Par contre, à Halloween, je pense que c’est un soir où les gens peuvent se laisser aller. C’est une fête ! Il faut savoir s’amuser aussi et avoir un sens de l’humour, tant que ça reste respectueux. »

Pour M. Dorais, les jeunes suivent avant tout une mode et imitent la culture populaire. « On peut se demander si les entreprises qui font ces costumes répondent à une demande. On ne sait pas d’où ça vient, résume-t-il. Si hypersexualisation il y a, ce sont les fabricants de mode qu’il faut blâmer, pas les jeunes. »

En 2013, la direction de l’Université du Colorado a sommé ses étudiants, peu de temps avant l’Halloween, de ne pas revêtir de déguisements véhiculant des stéréotypes racistes et sexistes. Les costumes aguichants tels ceux de Geisha sont à éviter, de même que ceux d’Indiens ou de cow-boys.

*Source : Statistiques Canada