Massacre aux Philippines : la justice se fait attendre

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Par Julie.Godin
mercredi 12 janvier 2011
Massacre aux Philippines : la justice se fait attendre

Le procès sur le massacre de 57 personnes aux Philippines en novembre 2009, dont 32 journalistes, s’est ouvert l’automne dernier. Mais les procédures risquent d’être longues: les témoins à entendre sont nombreux et plusieurs ont été assassinés avant même le début des audiences.

Le 23 novembre 2009, survenait aux Philippines un des pires massacres de journalistes de l’histoire. Ce jourlà, 57 civils (dont 32 journalistes) ont été sauvagement assassinés alors qu’ils allaient présenter la candidature d’Esmael Mangudadatu au poste de gouverneur dans la province de Maguindanao. Les victimes ont été décapitées, les femmes, violées, et les corps retrouvés dans une fosse commune à quelques kilomètres de la ville de Shariff Aguak. Plusieurs témoins affirment que le clan au pouvoir, celui des Ampatuan, est à l’origine de la tuerie. Ces derniers auraient craint d’être délogés et de perdre le contrôle de leur territoire.

Les Ampatuan sont réputés pour être des seigneurs de la guerre: ils entretiennent des liens étroits avec certains politiciens et ils font régner la terreur au sein des populations locales. Qui plus est, ils sont armés et s’imposent sur leur «coin de pays». À l’heure actuelle, plusieurs des meurtriers demeurent en liberté et on annonce déjà que le procès qui s’est ouvert en septembre dernier pourrait s’éterniser.

Le procès

Depuis le début des audiences, deux témoins ont fait des révélations-chocs sur les événements. Le premier, Lakmudin Saliao, ancien domestique du clan Ampatuan, a révélé que le patriarche du clan Ampatuan (Andal Ampatuan Sénior) et son fils (Andal Ampatuan Junior) ont planifié ce geste six jours auparavant lors d’un repas avec des invités. Pour sa part, Rainier Ebus, policier témoin des meurtres, affirme que 40 des assassinats sont imputables à Andal Ampatuan Junior. Par contre, les membres du clan Ampatuan nient leur implication dans ces meurtres.

À l’heure actuelle, 196 personnes sont sur le banc des accusés. Parmi elles se trouvent au moins cinq des membres de la famille Ampatuan ainsi que les membres de l’armée privée à la solde de la famille. Un aussi grand nombre d’accusés constitue une première pour le système judiciaire philippin, déjà très surchargé. «Nous n’avons même pas eu le temps de finir le récit du premier témoin, et nous estimons avoir 500 témoins à entendre. Il reste encore un très long chemin avant que justice soit faite», confiait Harry Roque, avocat représentant treize des familles de journalistes au journal La Croix en septembre.

Plusieurs sources affirment également que les avocats du clan Ampatuan, au nombre de 80, font systématiquement obstruction pour retarder les procédures. «Les avocats tentent de ralentir le rythme de la justice en déposant des recours devant d’autres cours», révélait Prima Jesusa Quinsayas, une autre avocate qui représente des familles de journalistes, à Reporters Sans Frontières en août.

Pendant ce temps, les témoins tombent comme des mouches. Selon Human Rights Watch, cinq des témoins-clés ont déjà été assassinés et la protection accordée aux autres témoins est insuffisante.

Benigno Aquino iii : un espoir, un nouveau règne

Depuis le massacre, l’échiquier politique a changé, notamment à la présidence du pays. L’ancienne présidente, Gloria Arroyo, qui aurait «fricoté» avec le clan Ampatuan pour obtenir des votes «illégaux» lors des élections de 2004, a été défaite le 10 mai dernier en faveur de son rival, Benigno Aquino III, fils de Corazon Aquino. Cette dernière a rétabli la démocratie en 1986 après l’exil du dictateur communiste, Ferdinand Marcos.

Pour les familles des victimes, le nouveau président représente un espoir. Avant son élection, Aquino III a assuré son soutien aux familles des victimes. « Quand “Noynoy” [surnom d’Aquino III] est venu ici, il m’a promis qu’il irait jusqu’au bout. Je lui fais confiance», a racontée Myrna, veuve du journaliste Alejandro Roblando, au journal Le Monde en septembre dernier.

Mais Aquino III aura beaucoup à faire, puisque les clans comme celui des Ampatuan sont très nombreux aux Philippines. Les gouvernements précédents ont dû composer avec cette réalité et certains se sont acoquinés avec les clans plutôt que de les combattre. En outre, les allégations de corruption sont fréquentes lors d’élections aux Philippines.

Au milieu de tout cela, la population se retrouve coincée et intimidée, comme l’explique Philip Alston, rapporteur spécial aux Philippines pour l’ONU, au quotidien La Croix : « Dans une société pauvre où la dépendance envers la communauté est forte et la mobilité géographique très limitée, les témoins sont spécialement vulnérables quand ceux qui sont chargés d’assurer leur sécurité et ceux qui sont accusés de meurtres sont les mêmes. Celui qui veut préserver son espérance de vie ne témoigne pas dans une enquête pour meurtre.»