Marc de distinction

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Par Audrey Gagnon-Blackburn
mercredi 13 octobre 2010
Marc de distinction

Un visuel unique, une vision figurative, une vue daltonienne. L’oeil calme d’un peintre brillant : celui de Marc Séguin. Reconnu par ses contemporains pour la force tranquille de son art, suivez la ligne de fusain qui trace le parcours de ce grand de l’art canadien actuel et qui mène jusqu’au plus récent documentaire de Bruno Boulianne.

Marc Séguin respire l’authenticité, une certaine vérité rassurante. Malgré un curriculum impressionnant et une notoriété internationale, l’artiste trouve toute sa force dans le respect et la simplicité. De son art se dégage une approche unique qui n’a rien d’une pratique artistique courante qui rappelle le travail à la chaîne. Comme il le souligne, «certains artistes sont devenus des producteurs d’objets ; moi, je suis resté un artiste “artisanal”. Ça me jette par terre quand je suis devant un Picasso et que je sais que l’artiste était devant sa toile quand il l’a peinte, qu’il s’est investi dans son oeuvre. J’essaie de garder la même optique ; je ne pourrais penser faire des oeuvres auxquelles je n’aurais même pas touchées. » Cette attitude, Marc Séguin arrive assurément à la conserver grâce au bel équilibre qu’il maintient entre urbanité extrême et nature complète : il voyage régulièrement entre sa ferme d’Hemmingford et son atelier de Brooklyn. La distance et la divergence qui séparent ces deux villes lui assurent une certaine survie artistique : «J’ai besoin de pauses, comme pendant la chasse, pour être en lien direct avec moimême, pour me permettre d’être qui je suis. Et quand je vais à Brooklyn, c’est pour travailler ; je n’ai pas d’éléments appartenant à ma vie qui puissent venir me déconcentrer. Dans le fond, j’ai besoin de briser le moule, de casser la routine.» Et on sent chez lui une constante volonté de dépassement, un refus de toucher le fil d’arrivée : «Je me mets en danger, c’est l’instabilité qui me permet de me dépasser. J’ai comme une chip dans ma tête qui me dit que c’est pas correct quand c’est trop beau, trop bon, trop stable. Je le sais que ça ne marche pas quand c’est trop parfait.» L’artiste travaille présentement sur une série d’églises et de bâtiments en ruine peints à l’aide de cendres humaines : un projet qui peut paraître provocateur, qui soulève quelques questionnements d’éthique, mais qui trouve naturellement sa place dans le parcours artistique de Marc Séguin.

Émulsions sur toiles et écrans

Toile tirée de la série Ruines

Bruno Boulianne, avec Bull’s Eye, un peintre à l’affût, permet au public de faire la connaissance de Marc Séguin l’homme, le peintre et le père de famille. Tout en imprégnant l’opus d’une signature visuelle bien à lui, le cinéaste arrive tout de même à s’effacer derrière son sujet, laissant place au naturel des choses. Il accorde ainsi sa vision à celle de Séguin, avec une belle sincérité. «C’est une idée assez intelligente de sa part, parce que comme c’est un documentariste, c’est quelqu’un qui, je pense, avait compris que j’étais assez sauvage; il devait faire comme si c’était normal qu’il soit là. Je le trouve brillant, très intelligent. J’aime les gens intelligents, j’aime quand on ne fait pas les choses comme je les avais prévues», explique l’artiste. Le documentaire ne ment pas ; il montre les choses telles qu’elles sont, dans toute leur vérité. Forme et fond viennent ainsi s’harmoniser dans une symbiose presque parfaite. Cette collaboration, le peintre l’a vue comme une opportunité de rendre l’art visuel plus accessible, d’humaniser le créateur derrière l’oeuvre : «La seule et unique motivation, c’est le fait qu’en tant qu’artiste, j’aurais aimé voir ça, avoir ce genre d’accès. Je ne l’ai pas fait par vanité. Dans le fond, Bruno avait un plan, moi j’étais juste le sujet. J’avais confiance en son projet», précise-t-il. Un projet qui permet aux gens de mieux comprendre les motivations, les réflexions de Séguin, de faire une intrusion complice dans son univers.

Toile tirée de la série Ruines

Marc Séguin est un homme du temps, de son temps, qui laisse sa trace en arrêtant le temps sur ses toiles. La tête sur le bûcher, il couche une partie de lui-même à chaque trait de fusain, à chaque coup de pinceau. Pour transmettre une telle vulnérabilité, il n’a d’autre choix que de jouer franc jeu, d’être honnête envers luimême et son art. Marc Séguin se permet d’exiger le meilleur, prend tous les moyens pour y arriver et son oeuvre s’en ressent grandement. Son parcours semble éviter la destination, refuse toute finalité et continuera certainement de surprendre en empruntant de nouvelles avenues encore jamais explorées.