Ma vie de routière : « les femmes aussi sont capables de faire ce métier-là. »

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Par Esther Thommeret
lundi 7 décembre 2020
Ma vie de routière : « les femmes aussi sont capables de faire ce métier-là. »
Pour Blanche Avignon, le métier de routière se démocratise de plus en plus, permettant aux femmes de se faire une place dans le domaine du transport. Crédit : Marcus Wong via Wikimedia Commons
Pour Blanche Avignon, le métier de routière se démocratise de plus en plus, permettant aux femmes de se faire une place dans le domaine du transport. Crédit : Marcus Wong via Wikimedia Commons

Blanche Avignon, routière, effectue depuis trois ans des trajets en camion entre le Québec et l’Ouest canadien ou les États-Unis. Elle raconte à Quartier Libre son expérience sur la route, en tant que femme.

Quartier Libre : Quels sont les trajets que tu effectues habituellement, et combien de temps passes-tu sur la route ?

Blanche Avignon : Je pars du terminal de Montréal et je vais principalement dans l’Ouest canadien, en Californie, en Floride et en Arizona.

Dans la société pour laquelle je travaille, on part quand on veut et aux heures qu’on veut. On roule en équipe, le camion ne s’arrête jamais. Lorsqu’une personne conduit, l’autre dort, et inversement. Par exemple, pour un aller-retour en Californie, en comptant les drops et les pick-up qu’on doit faire, on part en moyenne sept jours. En Floride, il faut compter plutôt quatre jours pour un aller-retour.

Q.L. : À quoi ressemble une journée « type » sur la route ?

B.A. : Avec mon coéquipier, on s’est mis d’accord, c’est moi qui roule de nuit. Je commence à 18 h et je finis à 6 h du matin, et lui roule la journée, de 6 h à 18 h. Quand tu roules, tu es obligé de prendre une pause de trente minutes après huit heures de conduite. Après cette pause, il me reste généralement quatre heures au volant.  

En général, je dors à peu près six heures, je me lève vers midi. À ce moment-là, parfois, on va se promener avec mon coéquipier, sinon, je me mets devant dans le camion et je tricote, je fais du macramé, je traite mes photos, etc. C’est un peu comme ce que je ferais dans ma vie de tous les jours, mais dans une maison roulante. Puis je fais une petite sieste avant de reprendre la route. On est payé au millage. Donc plus tu roules, plus tu gagnes d’argent.

Q.L. : Comment décrirais-tu ta relation avec ton coéquipier ?

B.A. : On s’est rencontré à l’école, ça va faire deux ans qu’on roule ensemble. La relation qu’on a, ce n’est pas une relation amoureuse, ce n’est pas une relation amicale non plus. C’est l’homme avec qui je partage la moitié de l’année. On a une relation très particulière, on se connaît par cœur, on se respecte énormément, on ne s’est jamais disputé, par exemple. Quand on roule, on discute, on fait des quizz, on rigole, on parle de la vie, on débat, comme deux personnes qui se connaissent depuis toujours.

Q.L. : Qu’est-ce que tu fais quand tu roules ?

B.A. : En roulant, j’écoute de la musique avec mon casque, pour éviter de déranger mon copilote qui dort. J’écoute aussi des podcasts, des reportages, souvent des choses assez stimulantes qui font réfléchir, parce que malgré tout, c’est un métier qui nous fait beaucoup penser. Ça fait du bien de pouvoir se changer les idées en réfléchissant, en analysant différents contenus et reportages.

Q.L. : Où est-ce que tu te laves sur la route ?

B.A. : On a de la chance quand on est aux États-Unis, il y a des relais routiers super. Ce sont de vraies salles de bain comme chez toi, avec des toilettes, une douche et un lavabo. Quand on change de conducteur, on prend le temps de faire une pause et de prendre une douche. En général, les gens pensent qu’on ne se lave pas, mais si, on se lave tous les jours.

Q.L. : Quelle est la réalité d’être une femme pour ce métier ? 

B.A. : C’est sûr que les regards des autres routiers, ou même des automobilistes, sont très insistants. De mon côté, je ne fais pas face à beaucoup de problèmes. Dès qu’ils voient mon coéquipier, ils arrêtent de regarder. Mais on se sent dévisagée, on ressent encore ce côté très macho dans le domaine du transport.

Après, il y a aussi l’avantage qu’il y ait beaucoup d’hommes très gentils, ils vont me laisser leur place, ils vont venir déplacer un trailer parce que ça me gêne, etc. Soit on est trop chouchoutée, soit c’est vraiment l’opposé, on est très mal regardée. Il y a aussi encore beaucoup d’hommes qui n’acceptent pas du tout que les femmes prennent la route. Mais de manière générale, ça se passe bien.

Je me rends compte, comme mon conjoint qui est aussi routier, et comme mon coéquipier, que ça se démocratise de plus en plus pour les femmes. J’en vois énormément sur la route. Puis il y a une espèce de solidarité à l’égard des femmes, c’est assez girl power. Je le sens quand je croise d’autres femmes routières, ou quand des hommes nous applaudissent de leur voiture. C’est assez drôle.

Je suis militante, j’ai beaucoup de projets en cours sur la place de la femme dans le domaine du transport. J’aime parler du fait que les femmes sont aussi capables de faire ce métier-là. C’est un métier qui apporte beaucoup, qu’on soit un homme ou une femme.

Q.L. : Est-ce que vous prenez le temps de faire des pauses et de voyager sur la route ?

B.A. :Il faut être dans le même état d’esprit que ton coéquipier. Il faut avoir les mêmes centres d’intérêt. Nous, on décide de s’arrêter de temps en temps. Par exemple, aujourd’hui, on a une journée off, on a loué une voiture à Calgary et on est allé au lac Louise. On s’arrête souvent pour faire des activités, comme faire de l’équitation à Phoenix, ou, quand on va en Californie, toujours s’arrêter pour manger dans notre petit restaurant mexicain préféré.

J’aime énormément ce métier, je vois des choses inimaginables que j’ai toujours rêvé de voir quand j’étais enfant. Ce que j’aime, c’est l’ouverture d’esprit. Tu t’ouvres beaucoup plus au monde, de manière générale.

Q.L. : Quels sont les aspects difficiles de ce métier, selon toi ?

B.A. : Quand on est sur la route, on n’a pas de vie sociale. C’est très compliqué, même si on rencontre des gens, on ne peut rien créer, ça va être des petits échanges, des petites discussions de café. Mais notre vie sociale, une semaine sur deux, est assez réduite.

Aussi, je vais bientôt avoir trente ans, ça fait trois ans que je fais ce métier-là. En tant que femme, j’ai envie d’avoir une certaine stabilité, d’avoir des enfants, d’être chez moi, d’avoir un chien. Ça paraît bête, mais en étant sur la route une semaine sur deux, je ne peux pas avoir ça.